Avec la crise institutionnelle actuelle, et la division de l'Europe sur la question russe, est-il possible d'espérer une position commune, crédible et audible par la partie russe sur le dossier Géorgien ? De quels leviers dispose l'UE pour refondre un partenariat stratégique viable avec la Russie, au délà des incantations romantiques ?
Monsieur le Député européen Alain Lamassoure nous répond.
Regardons la Russie telle qu’elle est en 2008, et non plus à l’aune de la frayeur que nous inspirait l’Union soviétique il y a vingt ans. Sur le plan militaire, l’écrasement de la Géorgie est une victoire aussi valeureuse que ce que serait l’invasion du Luxembourg par l’armée française : la fierté nationale suscitée par ce fait d’armes en dit long, non sur la force, mais sur la faiblesse de Moscou. Sur le plan politique, faisant suite au jeu cynique dans le maniement des robinets de gaz, cette violation grossière du droit international a abouti au contraire de ce que recherchait le pouvoir russe : l’unité spontanée des Européens, l’isolement international d’un pays devenu soudain aussi imprévisible et infréquentable que l’était jadis la Libye de Kadhafi, et la prise de conscience des pieds d’argile du colosse eurasiatique. Couper le gaz aux clients européens ? Les dirigeants russes y perdraient bien plus que les pays consommateurs : leur seule source de richesse, et la vraie base de leur pouvoir – ce n’est pas un hasard si, même aux moments les plus tendus de la guerre froide, jamais l’Union soviétique n’a suspendu ses livraisons à l’ouest, de même que, malgré ses rodomontades, Hugo Chavez s’est toujours gardé de faire défaut au premier client de son or noir, les Etats-Unis abhorrés. La vraie leçon de la crise, c’est que le tsar est nu.
La
maladresse diplomatique est d’autant plus grande que cette provocation
est intervenue au moment où l’Union européenne a tiré les enseignements
de sa division funeste dans l’affaire irakienne, et où un leader de la
trempe de Nicolas Sarkozy en assure la présidence. Habitués jusque là à
jouer des divergences d’intérêt et des rivalités d’amour propre entre
Européens, les dirigeants russes se heurtent pour la première fois à un
front uni. Uni pour soutenir le plan de paix en 6 points en Géorgie.
Uni pour suspendre les autres négociations avec Moscou tant que ce plan
n’est pas intégralement appliqué. Uni pour consolider politiquement et
économiquement l’indépendance de la Géorgie et pour étendre l’influence
protectrice de l’Europe à l’Ukraine, prochaine cible annoncée du
ressentiment russe. Uni pour engager une politique de diversification
de ses sources d’énergie et de ses réseaux d’approvisionnement, alors
qu’il y encore quelques semaines, malgré les ambitions affichées, le «
chacun pour soi » restait de règle. Moscou croyait engager une épreuve
de force diplomatique avec Washington et l’OTAN, c’est l’Union
européenne qu’il voit se dresser devant lui.
Bien
sûr, cette hirondelle inattendue ne suffit pas à faire le printemps de
l’Europe. L’unité aura bien des occasions de se lézarder, la présidence
du Conseil européen restera fragilisée tant qu’elle ne bénéficiera pas
de la permanence prévue par le traité de Lisbonne et, en l’absence d’un
outil militaire cohérent par rapport à ses ambitions diplomatiques,
l’Union restera un acteur politique de second rang. Mais, pour la
première fois, elle existe. Elle ose s’opposer à son plus puissant
voisin. Et, dans quelques mois, les élections européennes donneront à
cette existence et à cette politique la pleine légitimité démocratique.
Ce ne sont encore que quelques lignes griffonnées sur une page blanche,
mais c’est bien un chapitre nouveau qui s’ouvre.
L'Atelier
Europe remercie chaleureusement Monsieur le Député européen pour sa
participation aux Lundis de l'Europe, ainsi que pour sa disponibilité
et l'aide qu'il lui apporte.
Nous vous invitons à le retrouver sur son site.