Il aura fallu que les journalistes s’y reprennent à trois fois lors des vœux à la presse de François Hollande pour que celui-ci accepte enfin sans ambiguïté le qualificatif de social-démocrate. Pourquoi tant de réticence vis-à-vis d’un terme pourtant synonyme de modération et que les gauches européennes revendiquent volontiers? Et quelles implications pour l’Union européenne?
Il ne s’agit pas d’un simple point lexical: la France est l’un des derniers pays en Europe où la gauche de gouvernement (c’est-à-dire le Parti Socialiste) se sent plus à même de gouverner avec l’extrême gauche, où ses transfuges sont nombreux, qu’avec la droite modérée. A tel point qu’Arnaud Montebourg, dans un parfait déni de réalité, considérait que la gauche allemande avait récemment gagné les élections, sur la base d’une addition baroque des voix du SPD (l’équivalent du PS français), des verts allemands et de Die Linke (l’équivalent du Front de Gauche). Mais voilà, en Allemagne les coalitions se font au centre, entre sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens.
Il s’agit bien là d’une exception française: chez tous nos voisins, la gauche de gouvernement a coupé les ponts avec son aile extrémiste, que ce soit en Espagne, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie, etc. Cela n’a rien d’étonnant, puisque si les valeurs sont souvent différentes entre la droite et la gauche modérée, au moins sur le plan économique les objectifs sont largement convergents (intervention raisonnée de l’Etat dans l’économie, ouverture, défense du projet européen, attachement à la monnaie unique, rôle de l’entreprise dans la création de valeur, etc.).
Car c’est là la deuxième bonne nouvelle que ce tournant pourrait apporter. En reconnaissant enfin clairement que c’est par l’offre et non la demande que la France retrouvera le chemin d’une croissance durable, et que la valeur se crée dans les entreprises, François Hollande envoie un signal positif, qui pourrait se traduire dans les chiffres si les mesures annoncées sont dessinées habilement et mises en œuvre effectivement.
Or l’Europe a besoin d’une France forte, et ne peut s’appuyer seulement sur le moteur allemand. Celui-ci est le plus performant aujourd’hui, mais tout n’est pas parfait dans ce modèle. Hélas la France n’est crédible dans la critique que si celle-ci n’est pas l’expression d’une forme de jalousie. Ce n’est que si l’économie française rebondit et fait preuve de dynamisme que les autorités françaises seront légitimes pour s’engager dans un dialogue constructif avec l’Allemagne pour l’avenir de l’Europe.
Le tournant social-démocrate de François Hollande est donc une bonne nouvelle, car il pourrait contribuer à rationaliser le modèle politique français, et renforcer le poids de la France sur la scène européenne: une nécessité aujourd’hui, car il n’est pas sain que l’Europe vole avec un seul moteur.
Bien sûr, ce n'est qu'un premier pas, bien timide.
On ne peut que regretter que la politique d’offre annoncée s’accompagne nécessairement d’une kyrielle de contrôles, d’agences, etc., comme s’il était impossible à François Hollande de se départir d’une matrice idéologique assise sur la planification, alors que l’économie française a avant tout besoin de respirer.
On est aussi en droit de s'interroger sur le temps perdu depuis l'élection présidentielle, il y a vingt mois.
On peut craindre surtout une nouvelle manœuvre, à quelques mois d'échéances électorales délicates. Ceci d'autant plus que les contours et le financement des mesures annoncées reste flou.
Mais si timide soit-il, reconnaissons qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction et jugeons aux actes.
Source photo: Le Conseil de l'Union européenne