La décision du président Obama de renoncer à implanter un bouclier anti-missile en Pologne et en République tchèque, au profit d’un dispositif plus modeste centré sur l’Europe du Sud, peut s’expliquer pour plusieurs raisons. Pour le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, cette décision résulte simplement d’une réévaluation de la menace ballistique iranienne : celle-ci serait désormais considérée comme lointaine, voire hypothétique. De nombreux observateurs ont toutefois rappelé que, depuis 10 ans, la technologie du bouclier n’avait jamais réussi à faire ses preuves. Les sommes gigantesques dépensées en vain sur ce projet trouveront désormais à mieux s'employer. Enfin, et en dépit des dénégations officielles, l'abandon d'un symbole particulièrement voyant de la présence militaire américaine en Europe centrale constitue sans doute un signe d’apaisement à l’égard de la Russie.
Moscou-Washington : une nouvelle lune de miel ?
C’est en tout cas ce dernier point qui nourrit les commentaires – et certaines inquiétudes – en Europe. Les dirigeants russes s’étaient opposés dès le départ, et de la manière la plus virulente, à un projet défendu becs et ongles par l’administration Bush. Cette opposition était officiellement motivée par la volonté de préserver la parité nucléaire avec les Etats-Unis, qui eut été effectivement menacée le jour où les intercepteurs anti-missiles, basés en Pologne, seraient devenus opérationnels. Au-delà, le déploiement d'un important dispositif militaire américain à leurs frontières ne pouvaient qu'indisposer les autorités russes, a fortiori dans un contexte de dégradation continue des relations entre les deux pays. Chacun peut donc s’interroger aujourd’hui sur les conséquences du renoncement américain pour les relations entre Moscou et Washington.
Immédiatement après la décision américaine, les autorités russes ont annoncé l’annulation du déploiement prévu de missiles de moyenne portée à Kaliningrad. Certaines déclarations des plus hauts responsables laissent penser qu’une réexamen plus vaste de la stratégie de sécurité russe serait envisageable. L'appui de Moscou serait particulièrement bienvenu dans l'hypothèse d'un renforcement des sanctions internationales contre l'Iran. Pour l’heure, la Russie n’a toutefois pris aucun engagement, d’autant qu’officiellement les Américains n’ont pas souhaité négocier avec elle le retrait de leur projet. Le premier ministre russe, Vladimir Poutine, a salué la décision américaine, mais a également rappelé que les Etats-Unis et la Russie étaient loin d’avoir réglé l’ensemble de leurs différends ; il a notamment mentionné les négociations d’adhésion de la Russie à l’OMC, bloquées depuis plusieurs années en raison des désaccords russo-américains. En tout état de cause, la Russie ne devrait pas changer de politique du jour au lendemain et continuera à l'évidence d'accorder la priorité à ses propres intérêts.
L'Europe centrale, de Washington à Bruxelles
C’est en Pologne et en République tchèque que les conséquences de la décision américaine pourraient être les plus durables. Ces deux pays voyaient dans leur engagement en faveur du bouclier l’assurance de bénéficier du soutien des Etats-Unis face au revanchisme présumé de la Russie. La volte-face américaine, doublée de la volonté proclamée du président Obama de " réenclencher [reset] " les relations avec Moscou, constitue pour Prague et Varsovie une désagréable surprise. Celle-ci pourrait contraindre ces deux pays, devenus des bastions de l’euroscepticisme en Europe centrale, à une révision déchirante de leur politique d’indépendance vis-à-vis de Bruxelles – c’est du moins ce que laissaient entendre certaines des premières déclarations de leurs responsables. Faut-il y voir un signe ? Sitôt connue la victoire du " oui " lors du référendum en Irlande, les gouvernements polonais et tchèque, jusqu’alors très réticents, se sont empressés d’annoncer que leurs deux pays ratifieraient très bientôt le traité de Lisbonne.
Quentin PERRET
Audrey GENTILUCCI
Groupe "Energie et Europe élargie"