La Commission européenne a dévoilé cette semaine son projet de budget, pour l’Union européenne, pour la période 2014-2020. Ce projet comprend notamment une taxe sur les transactions financières et une remise à plat du « chèque britannique », un mécanisme qui assure au Royaume-Uni une moindre contribution nette au budget de l’UE.
C’est un budget d’une certaine ambition, face auquel plusieurs Etats membres ont fait semblant de s’offusquer, en avançant deux arguments d’apparence imparables : comment les institutions européennes osent-elles demander plus alors qu’elles prêchent la rigueur pour les Etats-membres ? Comment un Etat (en l’occurrence le Royaume-Uni) peut-il accepter de verser sensiblement plus au budget de l’UE qu’il ne reçoit de subventions (agricoles, régionales, de R&D…) ?
L’Allemagne et le Royaume-Uni demandent ainsi que le budget européen soit gelé en euros constants (c’est-à-dire qu’il n’évolue pas plus vite que l’inflation), tandis que la Commission propose que le budget suive la croissance du PIB européen, et en représente une part constante de 1,05% (pour mémoire, les dépenses publiques françaises représentent près de 55% du PIB de la France…). En outre, le Royaume-Uni s’oppose fermement à toute remise en cause de son « chèque ».
Ces arguments semblent relever du bon sens mais ils ne résistent pas à un examen approfondi. En matière d'économie il faut se méfier des évidences toutes faites et des raisonnements simplistes.
Tout d’abord, c’est bien parce que l’UE est l’échelon le plus pertinent pour mener de nombreuses politiques qu’il est nécessaire d’augmenter (un peu) les moyens de l’UE pour diminuer (beaucoup) les dépenses des Etats-membres. Les économies d’échelles sont évidentes dans des domaines comme la concurrence (il n’y aurait aucun sens à ce que des fusions soient examinées par 27 autorités de concurrence), la politique commerciale (quel poids la France a-t-elle pour négocier face aux Etats-Unis, au Japon, ou à la Chine ?), la régulation financière, la politique de recherche, de transports, d’immigration, agricole, de pêche, de développement, etc. Autrement dit, ce n’est pas en diminuant mais bien en augmentant le budget de l’UE qu’on diminuera celui des Etats-membres.
Ensuite, l’argument britannique démontre une profonde méconnaissance de l’apport des institutions bruxelloises, comme si celles-ci n’étaient qu’une gigantesque machine à recevoir de l’argent des Etats membres et à le redistribuer, certains y gagnant (les bénéficiaires nets), d’autres y perdant (les contributeurs nets). C’est doublement faux. Premièrement, parce que des fonds versés à un pays moins développé servent souvent à financer des projets réalisés par des entreprises issues de pays plus développés, permettent aux pays de mieux s’intégrer dans le grand marché européen et offrent de nouveaux débouchés et sites de productions aux entreprises des pays contributeurs nets comme la France, l'Allemagne, etc. Secondement, parce que les transferts de fonds ne concernent qu’un nombre minime de politiques (PAC et fonds régionaux essentiellement), tandis que les principales politiques de l’UE (politique commerciale, politique de concurrence, régulation financière…) ne coûtent presque rien (voire rapportent pour la politique de concurrence) mais elles ont un impact gigantesque (c'est le fameux effet de levier offert par la mutualisation des moyens en Europe). Réduire l’UE aux flux financiers qu’elle gère est dès lors une approche incroyablement réductrice.
Les Etats membres gagneraient à sortir d’un discours court-termiste et à dénoncer ces raisonnements fallacieux, qui les desservent in fine au moins autant que l’UE. En ce domaine également, il convient de sortir d'une approche purement nationale (combien vais-je donner à l'UE pour son budget?) pour aller vers une meilleure coordination des capacités budgétaires des Etats, y compris en mutualisant au niveau de l'UE ce qui autoriserait un gain d'efficacité et soulagerait d'autant les budgets nationaux.
JG