Dans l'Union Européenne, qui doit gérer actuellement la crise de la zone euro, l'heure n'est pas aux projets d'élargissement; après avoir voté le plan d'aide à la Grèce, les pays européens doivent se concentrer sur la réforme de leurs finances publiques et rebâtir, une fois de plus, leur solidarité sur la base d'une gouvernance économique commune renforcée.
Néanmoins, à la veille du voyage d'études de l'Atelier Europe en Pologne, nous avons décidé de tourner notre regard vers Varsovie, qui a accueilli les 29 et 30 septembre le sommet du Partenariat Oriental. Créé deux ans auparavant dans le cadre de la politique européenne de voisinage, ce projet cher à la Pologne traverse une période de stagnation. D'un côté, Moscou regarde les pays couverts par le Partenariat comme relevant de sa zone d'influence exclusive; par ailleurs, les pays européens qui soutiennent un voisinage privilégié avec la Méditerranée (parmi lesquels la France), boudent le projet.
En même temps, au sein du Partenariat Oriental, les pays qui pourraient être prochainement dans la même situation que la Croatie (qui a reçu l'aval de la Commission pour une adhésion en 2013) ne sont pas nombreux. Les tendances autoritaires qui s'y développent montrent leur fascination pour le modèle post-soviétique russe, plutôt que pour l'UE, qui reproche à la Biélorussie la répression des opposants et, à l'Ukraine, le procès contre Ioulia Timochenko.
Seule exception au tableau, la Moldavie est le seul pays à avoir actuellement un gouvernement ouvertement pro-européen, formé depuis juillet 2009 par les quatre partis non-communistes de l'Alliance pour l'Intégration Européenne. Pour l'heure "meilleur élève de la classe", ce pays de moins de 4 millions d'habitants est néanmoins hanté par le conflit gelé de Transnistrie et par la corruption généralisée, qui fait que l'économie souterraine est évaluée à près de 40% du PIB, et que, malgré une forte croissance économique (environ 8%), il reste un des pays les plus pauvres d'Europe.
Sans être directement impliquée dans le règlement du conflit en Transnistrie, l'OTAN considère, au même titre que l'OSCE, que la Fédération Russe doit respecter les engagements pris à Istanbul portant sur le retrait des forces et équipements militaires russes de la région transnistrienne.
Durant l'époque soviétique, la Transnistrie a concentré la plupart des investissements faits en Moldavie; 80% des industries et une centrale hydroélectrique se trouvent actuellement sur son territoire. La province est alimentée pratiquement gratuitement en gaz par la Russie, le chauffage y étant moins cher qu'en Moldavie, où les tarifs sont très élevés, conséquence de la dépendance énergétique du pays envers le producteur russe Gazprom. De même, les retraites en Transnistrie sont payées uniquement grâces aux fonds provenant de Moscou. Ce poids financier que représente la province pourrait déterminer la Russie à s'ouvrir pour trouver une issue au conflit.
Cependant, alors que la Moldavie a toujours insisté pour la reprise des négociations dans le format 5+2 (les deux parties, l'Ukraine, la Russie et l'OSCE en tant que médiateurs et l'UE et les États-Unis en tant qu'observateurs) la Russie souhaite éviter ce format, où, selon le directeur du Ukrainian Institute for Foreign Policy Studies, elle ne se trouve pas en position de force, mais se voit obligée de traiter sur une position d'égalité avec les autres parties.
En visite à Chisinau en juillet dernier, Herman Van Rompuy a exprimé à son tour l'espoir de voir les négociations reprendre à la rentrée dans le format 5+2, "seule formule capable d'accoucher d'une solution durable". Il a également affirmé que les ambitions européennes de la Moldavie sont légitimes sur le long terme, le pays pouvant devenir un modèle de succès pour les autres pays de la région. Et il a également rappelé le principe du "more for more": l'assistance à la Moldavie sera directement liée au calendrier des réformes. Car l’UE et la Moldavie négocient actuellement un Accord d'Association pour succéder à l’accord de partenariat et de coopération, et qui approfondira l’association politique et l’intégration économique de la Moldavie avec l’UE à travers un calendrier de réformes axé sur un programme complet de rapprochement réglementaire, autour duquel les partenaires assistant la Moldavie pourront s’aligner.
Le Parlement Européen a exhorté la Commission d'ouvrir le marché unique au pays voisins du Partenariat Oriental, et demande à ce qu'une plus grande libéralisation des visas soit prise en compte dans le cadre de la politique de voisinage. Jusqu'à présent, la Roumanie a accordé généreusement sa nationalité aux citoyens de la petite république voisine – à raison de 10 000 par mois en 2010. Ainsi accusée de faire entrer les moldaves en Europe par la porte arrière, c'est une des raisons qui lui a valu le refus de l'accession à l'Espace Schengen en mars 2011. Par ailleurs, malgré la crise, la Roumanie accorde des aides financières et énergétiques à la Moldavie, tandis que pour ses ambitions européennes, la Moldavie compte beaucoup également sur le soutien de la Pologne, qui jouit d'une plus grande crédibilité internationale que la grande sœur roumaine.
En ce début octobre, le premier ministre moldave Vlad Filat est revenu de Varsovie avec la date du début des négociations pour un Accord de libre échange approfondi avec l'UE inscrite dans la déclaration finale du sommet. Le premier ministre souhaite assumer pleinement le principe du conditionnement de l'assistance aux réformes effectivement mises en œuvre; il a cependant demandé une différenciation au sein du Partenariat, pour que chaque pays soit évalué en conformité avec ses propres performances. Assuré par Angela Merkel du soutien de l'Allemagne à la Moldavie sur son chemin européen, M. Filat souhaite que la perspective d'intégration de son pays soit officiellement reconnue, ce qui que donnera une légitimité aux yeux de la population moldave aux réformes lancées par le pouvoir actuel, pour assurer leur continuité et inscrire le pays sur une voie sans retour. Pour l'Alliance au pouvoir en Moldavie, il est tout aussi important de parler des réformes qui restent à faire, que d'oublier "la fatigue de l'élargissement".
La semaine dernière, le Représentant de l'Union Européenne à Chisinau a pourtant durci le ton, affirmant que "le temps des déclarations d'amour est passé" et que l'Europe était prête à fermer le robinet de ses fonds en l'absence de réformes de taille. Au premier rang desquelles, la réforme du système judiciaire et de renforcement des institutions, pour laquelle une assistance de 50 millions d'euros est prévue pour la période 2011-2013.
Actuellement, le gouvernement moldave n'a pas encore mis au point une stratégie de réforme de la justice, le système reste corrompu et inefficace, et perd de vue trop souvent l'intérêt des citoyens; sans cette réforme et la lutte contre la corruption, toutes les autres réformes seront vouées à l'échec, car c'est une justice corrompue qui cautionne la dilapidation tant de l'argent public que des fonds européens et bloque ainsi le développement du pays.
Toujours en lutte contre les structures et les mentalités héritées de l'époque communiste, la Moldavie s'efforce d'entrer dans le giron européen, sa latinité, entre autres éléments, faisant qu'elle ait une ouverture plus grande envers l'Europe par rapport à ses voisins anciennes républiques soviétiques. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité rappeler, avec Jerzy Buzek, qu'il convient aussi bien de soutenir le désir de démocratie des pays méditerranéens, et en même temps que de ne pas ignorer le désir d'Europe qui vient de l'Est.
Photo: Le premier ministre moldave Vlad Filat à gauche , Stefan Füle, le Commissaire à l'Elargissement et Politique de voisinage, à droite