Varsovie. Après Prague et Budapest, une nouvelle fois l’Atelier Europe a migré à l’Est, dans ce pays qui tient sa présidence de l’UE pour la première fois depuis son intégration à l’Union. Une occasion pour le pays de montrer sa bonne volonté européenne, après quelques années au cours desquelles les Polonais ont pu apparaître comme les « empêcheurs de tourner en rond » de l’UE.
Dans cette grande capitale d’Europe centrale, au charme indiscutable, on y ressent beaucoup le poids de l'Histoire, même si la ville a été completement rasée pendant la Seconde Guerre mondiale. Les Polonais vivent encore beaucoup dans le passé, même si depuis deux législatures, les mentalités commencent à changer. Se promener dans Varsovie, c’est voir ressurgir à chaque coin de rue l’Histoire européenne. L’Humeur est au drapeau bleu étoilé et à la mondialisation (bien que contrairement à certaines de ses consœurs de la région, Varsovie ne soit pas totalement défigurée par les affiches publicitaires), Varsovie est une ville de son temps, célébrant à la fois sa culture, ses traditions propres mais aussi l’ouverture. L’ambiance particulière des cafés très « viennois », à l‘image du Café Wedel, nous rappelle que nous sommes ici dans un espace géographique particulier, celui de l’Europe centrale. Si la carte mentale que nous renvoie la Pologne a changé depuis la fin du communisme et son intégration dans l’Europe, il n’en reste pas moins que sa situation géographique, coincée entre l’Allemagne et la Russie, demeure un invariant géopolitique qui conditionne encore beaucoup, quoique nos interlocuteurs polonais nous en ont dit, la politique européenne du pays.
La Présidence polonaise a démarré avec la grande ambition de démontrer qu’un pays de taille moyenne et de la « nouvelle Europe » saura bien gérer sa Présidence européenne et donner un souffle nouveau à l’Union. Pour comprendre cette ambition, il faut mesurer le chemin parcouru ces dernières années: durant les années 2005-2007, la Pologne était en marge du jeu européen. Sa politique européenne était assez en phase avec un vieux proverbe polonais « Aime-toi toi-même, laisse la foule te haïr ». En 2007, une nouvelle équipe est arrivée au pouvoir, avec des nouvelles ambitions : accroître l’influence polonaise au sein de l’UE, et participer davantage au débat européen. Ce retour de la Pologne dans le concert des nations européennes s’est en outre accompagné d’une volonté d’apaisement dans ses relations avec l’Allemagne et la Russie. Et c’est là que les paradoxes commencent.
A l’image de la « vieille ville », en fait flambant neuve avec ses remparts reconstruits à l’identique, les paradoxes de la politique européenne polonaise sont nombreux. Ils se résument quasiment tous de cette façon : volonté d’agir de manière communautaire, mais prise en compte prioritairement sur certains sujets de la spécificité et donc des intérêts de la Pologne. Cela est clair sur les thématiques énergie-climat (où plusieurs dérogations ont été obtenues), mais également sur les relations avec les voisins orientaux. Les Polonais ne souhaitent plus être considérés comme un « nouveau » membre - ancien satellite de l’URSS-, et rejettent cette vision géopolitique qui malgré la chute du mur, fait perdurer deux Europe, une de l’Ouest, et une de l’Est. Pourtant, l’une de ses priorités géopolitiques, qu’elle a par ailleurs projetée dans le Partenariat oriental, un des grands objectifs de sa Présidence, est la relation avec ses voisins situés encore plus à l’Est qu’elle. Comme si la Pologne avait un destin oriental inévitable. La Pologne est le grand lobby pro intégration de l’Ukraine au sein de l’UE. La question russe y est toujours extrêmement sensible, au point que certains de nos interlocuteurs ont préféré tout simplement ne pas mentionner « the elephant in the room ». Silence qui en dit long sur la perception qu’a encore la Pologne du grand voisin russe. La question reste donc posée sur la façon dont la Pologne va gérer ce retour en puissance de la Russie sur la scène européenne, que l’on observe depuis quelques années, et dont le récent retour de l’Ukraine dans le giron de Moscou a été une marque tangible.
Parallèlement à cette affirmation de ne pas vouloir être traité comme un membre arrivé sur le tard, et au-delà d’une bonne volonté européenne certaine, nos interlocuteurs nous ont rappelé qu’ils ont recouvré leur indépendance depuis quelques années seulement, et qu’ils ne sont pas prêts pour le moment à certains abandons de souveraineté. Cela a été clair lors de nos discussions sur la PESD. C’est d’ailleurs ce qui nous a frappés d’emblée lors de ce voyage d’étude: partout où nous nous sommes rendus pour nos entrevues, nous avons observé que trois drapeaux cohabitent sur le même socle : celui de la Pologne bien sûr, mais aussi celui de l’UE et de l’OTAN. Comme à Prague, il est clair que pour Varsovie, la PESD ne fait pas beaucoup de poids comparé au parapluie sécuritaire américain. Sur la PESD, nos discussions ont d’ailleurs été très vagues « c’est un long processus qui doit gagner en maturité, et c’est indiscutablement très difficile ». Dont acte.
Ce qui a été quelque part rassurant pour nous, c’est de constater que les interrogations quant aux difficultés actuelles de l’UE sont les mêmes à Varsovie qu’à Paris. Et ce notamment sur la façon de rapprocher les citoyens des institutions européennes, thématique qui a souvent été abordée dans nos discussions. Cette question de l’implication de la société civile a été au cœur de plusieurs débats thématiques. Lors de nos discussions sur le Partenariat oriental par exemple, la Pologne, qui a fortement soutenu la révolution orange en 2004, est très attachée à une approche « bottom-up » pour arrimer l’Ukraine le plus possible à l’Union européenne. Interrogées sur les suites à donner après la condamnation de l’ancien Premier Ministre Yulia Timochenko, les personnes en charge de ce dossier que nous avons rencontrées nous ont affirmé que la Pologne souhaitait continuer à tout prix le dialogue avec l’Ukraine, et rester pour cela davantage à un niveau « technique » (d’experts) qu’au niveau politique. Plusieurs fois nous avons mentionné que les effets de la politique de voisinage n’avaient pas été à la mesure des ambitions (en Biélorussie notamment). Mais le discours de la Présidence polonaise est clair : l’objectif politique à moyen et long termes est de rapprocher les voisins orientaux des normes européennes, en travaillant notamment de concert avec les sociétés civiles.
Quel bilan intermédiaire peut-on tirer de cette Présidence ? L’un de nos interlocuteurs a dressé un bilan pour le moment mitigé, malgré un volontarisme indéniable, en nous livrant une analyse intéressante sur le fonctionnement des institutions. La fonction de Président permanent du Conseil européen a changé la donne considérablement. Les décisions qui relèvent du Conseil européen se négocient davantage dans les couloirs ou par téléphone à l’avance, selon un mode de fonctionnement très intergouvernemental et beaucoup moins dans le cadre institutionnel du Conseil des Ministres, notamment le Conseil Affaires Générales qui a perdu de son pouvoir. De fait, cela aurait amoindri le rôle d’une Présidence, désormais cantonné à une dimension essentiellement technique de coordination. Par ailleurs, on nous a indiqué que le calendrier de la Présidence était en fait pris en otage par celui de la Commission. Ceci étant posé, les deux grands succès de cette Présidence sont pour le moment le régime européen des brevets et le « Six Pack », lequel renvoie aux six actes législatifs destinés à rendre la gouvernance économique plus rigoureuse dans l'UE. Quatre propositions traitent de questions budgétaires, y compris de la réforme du pacte de stabilité et de croissance de l'UE, tandis que les deux autres portent sur l'identification et la correction effective des déséquilibres macroéconomiques au sein de l'UE et de la zone euro qui devrait contribuer à assainir les finances des États membres à long terme.
Comme nous l’avons dit plus haut, la Pologne a entamé sa Présidence en étant bien décidée à jouer ce rôle de grand pays européen qu’elle revendique. Malheureusement l’actualité internationale a donné à la Pologne davantage un rôle d’observateur que d’acteur des évènements. Qu’il s’agisse de la crise des dettes souveraines et du Printemps arabe, Varsovie n’est pas directement concernée par ces deux sujets. Elle ne fait pas encore partie de l’Euro, et sur la question libyenne, elle a fait le choix de ne pas participer aux opérations militaires. Ces deux évènements (crise de l’Euro et intervention en Lybie) ont créé des frustrations vis-à-vis de certains de ses partenaires. La Pologne hésite en fait encore dans son attitude européenne, et pratique souvent des alliances avec les PECO du groupe de Visegrad (qui s’étend parfois aux Baltes…) pour créer des minorités de blocage. La Pologne des années 2010 est ancrée dans une alliance stable avec l’UE et l’OTAN, qui lui procure sécurité et relative prospérité, et l’expose moins qu’auparavant aux secousses internationales. Elle a réussi son ancrage au sein du monde occidental (ce qui faisait principalement débat dans les années 90). Mais la question qui reste en suspend est de savoir jusqu’où la Pologne veut-elle aller dans cette affaire européenne ? Pour le moment, elle reste davantage un consommateur de cette solidarité européenne (elle reçoit, de 2007 à 2013, un total de 67 milliard de fonds structurels, ce qui représente la plus grande enveloppe allouée à un seul pays) qu’un contributeur. L’actualité récente va dans ce sens : elle a demandé de participer aux négociations sur le plan de sauvetage de la zone Euro, tout en refusant d’y apporter des financements. Cette crise de l’Euro a d’ailleurs infléchi sa position sur la monnaie unique. L’objectif du gouvernement de Monsieur Tusk en 2007 était de viser une adhésion à l’Euro en 2012. Aujourd’hui, la question n’est plus tellement d’actualité, et la Pologne a retourné le sujet en demandant à la zone Euro de prouver sa stabilité. Une ambition européenne certaine, oui, mais toujours, entre romantisme et pragmatisme….Toutefois, il ne faut pas oublier de noter une évolution notable de la Pologne, notamment dans son rapport à l'UE. La réélection, pour la première fois depuis la fin du régime communiste, d'un gouvernement ouvertement européiste, le basculement des campagnes, clairement bénéficiaires de l'adhésion, vers des positions pro européennes et la prise de conscients progressive que l'Union est un instrument d'indépendance, notamment dans un contexte où le partenaire historique, les États-Unis, démontre une volonté de réévaluer ses priorités stratégiques font aujourd'hui de la Pologne l'un des États les plus pro européens. Certes, peu d'idéalisme en cela, mais la Pologne semble évoluer d'une position passive, voire contestataire, vis-à-vis de l'Union à une position plus ambitieuse qui marque la prise de conscience d'être un grand État de l'UE et d'avoir en ce sens un rôle clé à jouer dans son devenir.
Camille Roux
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