Copenhague. La Scandinavie telle qu’on l’imagine. Un endroit où la modernité n’a pas balayé un certain art de vivre. Pas celui à la française, où l’on prend le temps de recevoir ses convives avec pompe et de disserter à tue-tête. Un art de vivre où la tranquillité, l’harmonie des espaces, l’équilibre entre le privé et le professionnel, le respect de la nature et de ses ressources, trouve ses fondements dans l’âme danoise. Le Danemark a été classé en 2008 comme le pays où la population serait la plus heureuse du monde… Dans ce pays imbibé de design comme un vieux loup de mer de Whisky, les intérieurs, épurés et même temps chaleureux, méritent tout autant le détour que les paysages. Copenhague nous est apparue telle une ville aérée, comparée aux autres grandes capitales européennes, les cyclistes ont dompté la ville qui n’est par ailleurs pas défigurée par la publicité. Branchée, créative, interlope, très riche architecturalement parlant, flâner dans la ville est un vrai plaisir. Et source d’étonnement parfois : ici, les Ministres ont un vélo officiel. Lorsqu’il s’agit de faire des économies, les Danois ne badinent pas avec l’argent public.
Pour nous Français, si emprunts de tradition latine, la culture de la norme nous a parue légèrement pesante : pour les piétons, traverser en bonne et due forme, sous peine d’une amende de 100 Euros (et d’une réprimande sévère des passants..), la ponctualité, la modestie, tout faire (ou presque) de façon rationnelle.. Le pragmatisme danois, leur rigueur dans l’organisation, le respect des codes, tout cela nous fait basculer dans un autre espace ethnoculturel, où la fantaisie, la fougue, l’improvisation et la souplesse, ne guident pas toujours les comportements. Et pourtant, une fois mis au pas de cet attachement nordique aux normes, on ne peut qu’être fasciné par tout ce qu’accomplit ce petit pays de 5,5 millions d’habitants, leader mondial dans plusieurs domaines (transport maritime, cleantech ou technologies vertes, industrie éolienne, matériel médical comme l’audiologie, etc..) à l’image des groupe Maersk, Vestas, Rockwool, et bien d’autres encore. Les quatre priorités de la Présidence danoise collent parfaitement avec cet état d’esprit national « A dynamic, safe, green and responsible Europe ». En clair, la Présidence danoise a souhaité s’attaquer au problème du chômage, à l’immigration clandestine (notamment en renforçant les frontières extérieures de l’Union), à encourager davantage l’écologie non seulement pour la protection de notre espace de vie mais aussi comme moteur de création d’emplois, et enfin gérer la question des dettes souveraines et de la réforme fiscale communautaire. Cette Présidence particulière, puisqu’elle évolue à la fois dans un contexte de crise aigue et dans le cadre nouveau du traité de Lisbonne, a été préparée depuis 2010, et est gérée de manière décentralisée, directement à Bruxelles. Se montrant moins eurosceptiques qu’on les imagine, les Danois entendent bien marquer cette Présidence de leur emprunte, même si, comme l’a souligné l’un de nos interlocuteurs : « les thèmes de travail d’une Présidence sont décidés à 90 % par la présidence précédente, 5 % sont de la gestion de crise (en tout genre), il ne reste donc que 5 % pour laisser une marque spécifiquement nationale ». Pragmatiques toujours, et très concentrés sur les résultats, comme l’accord que les Danois espèrent arracher aux autres Etats membres, avant la fin de leur Présidence, sur les prochaines perspectives financières. Comparé à leur précédente présidence au grand moment de l’élargissement, celle-ci est davantage une présidence de gestion.
Le pays a choisi plusieurs dérogations pour ce qui concerne la monnaie, la défense et le volet «justice et affaires intérieures », trois domaines dans lesquels les Danois peuvent sortir leur fameux joker, appelé aussi « opt out » dans le jargon bruxellois. Mais les paradoxes se font sentir : à l’écart de la défense européenne, le Danemark est pourtant l’un des premiers pays, comparé à sa petite taille, qui participent aux corps expéditionnaires dans le monde (que ce soit dans le cadre des Nations-Unies ou de l’OTAN, tradition atlantiste oblige). Et c’est toujours le pragmatisme et non l’idéologie qui font avancer la politique danoise, très désacralisée là-bas comparé à la France, et ce y compris sur des thèmes lourds, comme celui-ci de la défense. Alors, puisque la CSDP a beaucoup évolué depuis les années 90, aujourd’hui davantage orientée vers des missions de maintien de la paix, de lutte contre le terrorisme et la piraterie (enjeu fondamental pour le Danemark), les Danois sont en train de reconsidérer leur position sur le sujet (et notamment leur clause dérogatoire, même si cela prendra du temps, dans la mesure où tout changement doit être approuvé par référendum). Sur l’Euro également, une position plus « in » est envisagée dans le moyen terme.
Dans ce pays mi socialiste mi libéral, où tout se partage (l’égalitarisme a été hérité de la tradition protestante luthérienne) et surtout où le bien collectif est ultimement respecté, qu’il s’agisse d’argent ou d’infrastructures, la création et l’innovation sont les maîtres mots de l’économie. 60 % du PIB de Copenhague vient de l’industrie créative. Derrière ce paradoxe d’un pays si normé et pourtant si créatif, il ne faut pas oublier la vocation maritime et de négoce du pays. Car nous ne sommes pas simplement au pays des Lego et d’Andersen. Nous sommes surtout dans un pays viking, dont l’ouverture sur le monde et l’envie de conquête sont pluri séculaires. A l’image de la statue de la Petite Sirène qui veillent sur les bateaux, s’ouvrir, s’adapter, telle a toujours été la tradition de Copenhague. Ici, point de nostalgie pour un hypothétique « âge d’or », point d’utopie pour un modèle qui répartirait encore mieux les richesses, mais une capacité à affronter le réel, le dompter, à composer avec ce monde en pleines mutations, et envisager la mondialisation comme une incroyable source de richesses et de potentialités. Nous allons être bientôt dominés par les Indiens et les Chinois ? Très bien, la prochaine cible de conquête pour les designers danois est l’Inde… être capable de comprendre un autre mode de vie pour sortir de la niche un peu trop occidentale et élitiste dont les objets du design classique sont issus, et créer l’objet culte qui sera utilisé par plus d’un milliard de consommateurs. Tout comme la cuisine danoise a su se réinventer, gardant le meilleur de ses traditions nordiques, mêlées aux ingrédients venus d’ailleurs (comme la confiture d’églantier à la vanille bourbon…). Le restaurant Noma, du jeune chef René Redzepi, situé dans un entrepôt maritime rénové du port de Copenhague, a été consacré deux années consécutives, en 2010 et 2011, le meilleur restaurant du monde… Food for thought comme disent les anglo-saxons, ou comment se réinventer dans un monde globalisé.
De toutes nos rencontres passionnantes où nous avons pu mesurer le professionnalisme des Danois sur les questions européennes (c’est leur 7è présidence du Conseil), l’une d’elles nous a particulièrement marqués : celle avec le directeur du Danish Design Centre. Là, nous avons pu vraiment comprendre la révolution du design depuis l’âge « classique » des années cinquante jusqu’à aujourd’hui. Le design n’est plus simplement un moyen de fabriquer des objets stylés, fonctionnels, simples, inédits dans les formes et à l’esthétique unique, mais il s’agit bien aujourd’hui de stratégies, qui visent à l’amélioration de la vie quotidienne, qu’il s’agisse des cantines scolaires, des hôpitaux ou des écrans de télé. Le design est sorti des maisons pour se marier à l’industrie, et c’est cette révolution copernicienne qui permet aux designers danois de traverser la crise actuelle. Notre échange sur le design « 2.0 » a vite basculé sur l’Europe, et voici ce que nous en a dit notre interlocuteur : « Les valeurs de la vieille Europe sont de retour. La problématique européenne est une question de scénario. Que se passerait-il si on ne faisait rien, s’il n’y avait pas d’Europe ? Cependant, la question fondamentale aujourd’hui reste la suivante : quelle est la stratégie globale pour l’Europe, où veut –elle aller ? » . Et là-dessus, la passion française et le pragmatisme danois s’accordent à ne pas trouver encore de réponse…
Camille Roux
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