La Commission dite de "Bruxelles", comme si on voulait s'en distancier ou la placer au rang de simple organe administratif international, comme le FMI, pâtit d'un déficit de légitimité, au moins perçu, qui rend difficile tout approfondissement du rôle politique de l'Union. Pour y remédier, des acteurs comme Wolfgang Schäuble ont proposé d'élire le président de la Commission au suffrage universel. Une autre mesure, plus conforme à l'histoire démocratique européenne et aux constitutions des États membres, serait de parachever le processus de parlementarisation de l'Union en faisant de la Commission l'émanation du groupe ou de la coalition majoritaire à l'issue des élections européennes.
Le pouvoir parlementaire est le processus historique par lequel la démocratie s'est construite en Europe. Pour l'Union, nouvel échelon du pouvoir politique, il est tout naturel de respecter ce processus qui aurait de nombreux avantages. Il donnerait une légitimité forte à la Commission qui pourrait alors se comporter en véritable gouvernement européen dans la perspective d'une évolution fédérale de l'Union, abstraction faite des perspectives budgétaires. Un tel changement n'exige pas une modification des Traités, il s'agit plutôt d'une conquête politique. Il faudrait que la nouvelle majorité élue au Parlement européen au terme des élections de 2014 refuse de voter le Collège des Commissaires proposé par le Conseil et que le Parlement impose son propre exécutif.
Une telle parlementarisation donnerait toute leur portée aux élections européennes. Les citoyens y verraient un intérêt et une lisibilité accrus, notamment en faisant un choix, sur les programmes et les leaders, qui s'apparenterait aux élections législatives nationales. De même, le désintérêt chronique des médias pour la politique européenne y trouverait, au moins pour partie, un remède. En effet, l'enjeu politique de conquérir le pouvoir, le Collège des Commissaires, conduirait à une compétition à l'intérieur des partis, notamment pour le leadership, ce qui permettrait enfin d'incarner les batailles électorales européennes, avec tout le "storytelling" dont sont friands les médias.
L'évolution vers le parlementarisme comprendrait aussi:
- une intégration des partis politiques européens. Les partis politiques européens ne sont guère intégrés, ils demeurent la simple juxtaposition de structures nationales ce qui a un impact sur le Parlement européen bien trop souvent dépendant des logiques nationales;
- une réforme du mode de scrutin, avec un abaissement des quotas nationaux du nombre de députés et une représentation plus égalitaire des citoyens européens (x citoyens = 1 député). Il s'agit d'un impératif politique et juridique (Cf arrêt de la Cour de Karlsruhe, etc.) pour parachever le Parlement comme maison du demos européen;
- une réforme des circonscriptions électorales. On peut concevoir de grandes circonscriptions où seraient élus au scrutin majoritaire les députés européens de sorte qu'ils soient davantage identifiés par les citoyens mais aussi par les élus locaux qui intégreraient d'autant plus la dimension européenne dans l'exercice de leur(s) mandat(s) ;
- une modification de la règle d'un Commissaire égal par État (voir la première proposition de l'Atelier en ce sens) pour accorder plus de souplesse dans la constitution du Collège.
Un tel mouvement de parlementarisation est à l'étude depuis au moins une trentaine d'années, a minima depuis les propositions Spinelli de 1984. Pour qui veut désenclaver l'Union aux yeux des citoyens, d'y encourager l'expression des opinions et responsabiliser davantage ses acteurs, bref politiser le cœur politique de l'Union, la parlementarisation est la voix naturelle qui s'impose. Sans nécessité d'un grand soir.