Les soubresauts de la zone euro ont le mérite de forcer les leaders européens à davantage d'initiative. Le projet d'Union bancaire en est l'une des expressions les plus éclatantes. Toutefois, il faut se garder de croire que la solution pourra sortir du chapeau de quelques technocrates, même les mieux inspirés. Les projets d'Union budgétaire, concoctés à Paris (tel le projet de Bercy d'un contrôle collégial des budgets nationaux des membres de la zone euro) et à Berlin notamment, augurent de la volonté de tirer enfin les conclusions des insuffisances de la monnaie unique telle que dessinée à Maastricht mais aucune réponse de nature politique, essentiellement liée à la légitimité de l'ensemble, n'est véritablement apportée. Or, une telle carence pourrait se révéler particulièrement dangereuse pour la survie du système avec le risque inhérent à la construction d'un nouveau gimmick au fonctionnement abscons et, partant, susciter la méfiance des citoyens comme des marchés.
L'activisme de Mario Draghi est une expression flagrante des limites d'une résolution technicienne à cette crise systémique. Ce banquier, trop central selon le mot du Financial Times, tente de combler les insuffisances tant politiques qu'institutionnelles de la zone euro. A court terme, cela apporte une bouffée d'oxygène mais la perspective de long terme est nettement plus préoccupante. A triple titre. Au plan juridique, il outrepasse allègrement les compétences octroyées à la BCE par les Traités. Nécessité fait loi et il y a urgence, mais si certains pays s'accommodent volontiers de facilités avec la règle, l'état de droit, notre socle constitutionnel commun, est précisément fondé sur le respect des lois et règlement tels qu'adoptés par les législateurs et les gouvernants. Au plan financier, le bilan de la BCE risque la surcharge et si la zone euro devait basculer et sa banque centrale avec, les héritiers ne se précipiteront pas pour solder un legs de type banqueroute. Au plan politique, enfin, la dette est liée aux décisions budgétaires des Etats et la place prise par la BCE en la matière est donc largement excessive. La BCE opère une mutualisation de fait qui ne peut pourtant être qu'un choix collectivement accepté et qui ne peut se réduire à un fait accompli.
Le rapport des Ministres des affaires étrangères de onze Etats de l'Union est un pas encourageant en ce sens. Certes, il demeure une déclaration d'intention; la question institutionnelle posée par ce groupe réduit d'Etats ne trouve pas de réponse univoque et les volontés politiques ainsi exprimées sont variables, voire aléatoires (la position française, pour la première fois, sans doute, à la traine d'une initiative européenne d'envergure, en est l'exemple criant). Toutefois, il s'agit d'une première pierre qui a le mérite de tracer un chemin et, c'est toujours important en politique, de se compter dans la perspective d'une intégration accrue. Enfin, ce rapport témoigne d'un saut qualitatif en termes d'acceptation de réformes institutionnelles comme corollaires d'une intégration économique accrue.
Pourtant, de telles initiatives ne suffiront pas. Outre la nécessité, maintes fois répétées dans les colonnes de l'Atelier Europe, de se préparer sur le terrain, notamment via les élections européennes, il faut marquer autrement les esprits. L'échec de la Convention et de son traité constitutionnel castre encore toute velléité d'initiative d'ampleur mais jamais dans l'histoire un cap aussi important n'a été franchi sans coup d'éclat. Bien souvent, un voisin, un autre stigmatisé, pâtissait de cette affirmation de puissance mais si, fort heureusement, l'Europe a perdu ses réflexes belliqueux, elle ne doit pas aujourd'hui confondre la modestie et l'aphasie, voire la couardise. Il n'y pas d'idéal noble qui puisse être porté petitement, en catimini, et avoir le courage de son ambition est sans doute le premier pas nécessaire pour une confiance retrouvée en notre avenir commun.
JC