Précédemment, nous avons vu que l’Union européenne est plus qu’une confédération mais moins qu’un État fédéral ; que la fédération d’États, qui se situe mi-chemin, correspond à peu près au cas européen, mais qu’au fond le schéma ne cesse de se compliquer et échappe de plus en plus aux catégories classiques décrites par la science politique.
Reprenons du début : le préambule de 1957, toujours en vigueur, parle d’un « processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples ». Vouloir une Europe forte et qui progresse.
Mais utiliser le mot de « fédéralisme », c’est aussi s’exposer à deux grands inconvénients dont il faut être conscient.
Le premier est d’opportunité : le concept d’une Europe fédérale effraie nombre de nos contemporains, attachés au principe de la souveraineté nationale. L’Europe, qui n’est pas responsable des désordres mondiaux, lui est cependant parfois assimilée. À ce stade, confier notre avenir à une administration externe alors que la sécurité perçue a toujours dépendu d’une gestion nationale, responsable devant les électeurs, ne convainc pas. Le fédéralisme court le risque de faire passer le projet européen pour un repoussoir.
On peut répondre que la mauvaise compréhension du projet par les pessimistes ne doit pas en faire dévier les optimistes… mais la politique est aussi l’art de savoir convaincre les indécis. Le concept d’Europe fédérale fait fuir les hésitants et dessert la cause européenne.
Un renforcement trop rapide du pouvoir central ne manquerait pas non plus, en retour, d’encourager les tenants d’un régionalisme qui, justement, s’épanouit d’autant mieux que les États sont faibles. Pourquoi pas ? Mais c’est tout de même un changement complexe à assumer.
Le second inconvénient est de fond : il tient au fait que l’Europe est, et a toujours été, l’histoire d’un savant équilibre entre l’unité et la diversité (c’est d’ailleurs sa devise). En choisissant le fédéralisme, qui penche clairement du côté de l’unité, on romprait l’équilibre aux dépens des États ; mais au nom de quoi ? au nom de la seule efficacité des négociations ?
Gardons-nous de dénigrer cette diversité desÉtats, qui est précieuse. Quoiqu’on dise, leurs débats sans fin ont une valeur : ils ne sont pas théoriques mais souvent appuyés sur de vraies légitimités électorales ; par un subtil jeu d’accordéon, ces débats multiplient puis rapprochent les points de vue ; ils sont relayés dans la presse, ce qui est une bonne chose pour que les citoyens prennent connaissance des enjeux ; ils obligent les grands à respecter les petits, ce qui est l’une des marques de fabrique, un point fort de l’Europe.
On pourrait poser la question en d’autres termes : de quels débats, aujourd’hui, avons-nous connaissance au Collège des commissaires, qui se réunit tous les mercredis ? y en a-t-il seulement ? Quelle diversité de points de vue y règne-t-il ?
Plus encore que les points de vue, la diversité des expériences est utile à l’Europe : qu’il s’agisse des gaz de schiste, des mesures à prendre pour intégrer les populations immigrées ou face aux crises internationales, nous avons besoin que différents Etats expérimentent différentes solutions, afin d’en dégager les meilleures.
L’administration européenne, certes de haut niveau, n’est pas encouragée à intégrer la diversité des politiques nationales. La plupart des fonctionnaires recrutés à la Commission y font une carrière complète, sans expérience directe de la vie politico-administrative des États ou des régions. Les parlementaires, quant à eux, n’utilisent guère les pouvoirs de codécision qu’ils détiennent et manquent de poids pour faire des propositions. L’absentéisme au Parlement est élevé.
Au total, l’invocation fédéraliste n’est pas la panacée : elle peut effrayer le public non averti, et ne garantit pas l’avancée des dossiers. C’est vers d’autres pistes qu’il faut se tourner.
Pierre Vive
Voir aussi:
1) Faut-il être fédéraliste ?
2) Faut-il être fédéraliste ? Mais de quoi parle-t-on au juste ?
4) Faut-il être fédéraliste ? Ce qu’il nous faut, ce sont des projets !