La parution du « Livre Blanc Défense et Sécurité 2013 » dans un contexte de renouveau politique (un an après l’élection présidentielle) et de crise économique continue soulève naturellement la question de la finalité du texte, au-delà de celle affichée. Volonté de laisser une empreinte? Volonté de justifier de futures orientations budgétaires? Autant de motivations classiques et, peut-être, autant de fausses pistes. Non que ces motivations soient absentes, mais elles ne président pas au texte.
Premièrement, ce texte, contrairement à la perception que donne le gouvernement actuel sur de nombreux sujets, ne rompt pas avec « l’ère Sarkozy ». Bien au contraire. Le Livre Blanc de 2008 figure, dans le texte actuel, comme l’aune de référence – notamment en raison de l’introduction du concept de Sécurité Nationale, largement repris.
Secondement, l’actuel Livre Blanc introduit une continuité de publication. Décrit comme le premier Livre Blanc d’une publication désormais quinquennale, sa valeur tient plus au fait qu’il dresse un constat à un moment donné qu’à une vision stratégique appelée, par une grande pertinence, à résister au temps. Dans les faits, de part la référence au Livre Blanc de 2008 et part son année de publication, ce « premier » Livre Blanc assume parfaitement son rôle de « second ».
Dans ce contexte, il s’agit moins de s’attarder sur les orientations et les principes qu’il pose que sur les nuances qu’il apporte à celui de 2008. Ces dernières sont, dans un environnement marqué par la crise économique, les « Printemps Arabes » et la persistance des menaces non-conventionnelles, principalement, de trois ordres:
Le continuum sécuritaire: L’introduction de la notion de Sécurité Nationale et en corollaire de l’idée de résilience ou de filière de sécurité semble désormais bien ancrée dans la pensée stratégique française. La défense ne se pense plus exclusivement à l’extérieur du territoire ou sur les marches, mais dès l’intérieur de la Nation – y compris au niveau des Collectivités locales. Qu’il s’agisse de l’appareil de production en passant par le recrutement (pour les aspects qui concourent à la projection) ou bien de la réalité des risques et des menaces présents à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières. Leurs expressions peuvent changer, mais leur réalité demeure.
Un environnement mondialisé: En corollaire, l’interpénétration des problématiques intérieures et extérieures pose la question de la France dans le monde. Une France d’autant plus vulnérable que les menaces sont diffuses (et l’extension des menaces à la criminalité organisée ou aux risques catastrophiques ajoute en volatilité) et que les Français sont partout présents (en raison de la France ultra-marine et des expatriés). Pour la première fois, l’espace dévolu aux expatriés dans la réflexion stratégique française semble prendre de l’ampleur, conséquence de l’introduction à l’Assemblée Nationale des Députés issus des circonscriptions hors de France. La présence française non-métropolitaine, si elle est plus exposée, constitue également un avantage pour la Nation, ancrant physiquement la France hors de ses frontières traditionnelles.
Le roi est mort, vive le roi: La défense européenne figure parmi les victimes du Livre Blanc 2013. Les restrictions budgétaires (des Européens !) et la fin d’une certaine forme de promotion exclusive de la défense européenne comme alternative à l’OTAN pointent clairement aux faiblesses de l’architecture sécuritaire européenne. Pourtant si la crise a rendu moribonde la défense européenne, elle lui donne également l’occasion de répondre timidement aux interrogations présentes depuis près de 20 ans! Le Livre Blanc 2013 prend parti pour des « spécialisation de production » et un degré de mutualisation ou « d’interdépendances capacitaires mutuellement consenties ». Vers la fin des duplications européennes? Dans la pratique, rien n’est moins sûr et tomber d’accord fera l’objet d’âpres discussions, mais ici et maintenant, le principe est posé. Il en va de même pour la volonté d’intégrer dans la défense européenne les autres cadres institutionnels (Visegrad, etc.). Autrement, dit, intégrer les institutions « interlocking » avant que la crise ne les rende « interblocking ».
En conclusion, le Livre Blanc Défense et Sécurité Nationale 2013 doit être lu pour ce qu’il est, un document d’orientation et de bilan dont la pertinence n’excèdera pas l’année 2018, date programmée du prochain. Modeste (168pp. contre ±700pp. pour 2008, annexes comprises), le Livre Blanc 2013 n’est qu’un document intermédiaire et les débats sur la Loi de Programmation Militaire à venir apporteront un éclairage encore nouveau.
Pierre-Olivier Drai
(auteur invité)