Par Camille
Servan-Schreiber
Dimanche prochain, des élections
présidentielles auront lieu dans la dernière dictature d’Europe. Le
principal candidat qui affrontera A. Loukachenka, le président actuel au
pouvoir depuis 1994, est A. Milinkievitch. Ce physicien de 58 ans,
ancien maire adjoint de la ville de Grodno, qui est également membre
d’honneur de l’Union des Polonais de Biélorussie, a récemment réuni
autour de lui onze partis d’opposition au sein de la « coalition des
forces démocratiques unifiées ». Il est soutenu par plusieurs ONG
européennes et américaines et a été reçu à Bruxelles il y a quelques
mois. Les autres candidats sont Alexandre Kozouline, ancien recteur de
l’Université de Minsk, dirigeant du parti social-démocrate Gramada, et
Sergueï Gaïtoukiévitch, candidat libéral-démocrate.
Milinkievitch est un nouveau venu
sur la scène politique biélorusse, puisqu’il n’a jamais été lié au
gouvernement de Loukachenko ni aux activistes de l’opposition biélorusse
de la « première vague ». Il se définit comme le candidat du
changement, afin de ramener la
Biélorussie dans le concert des
nations démocratiques. En politique étrangère, il souhaiterait mettre
sur pied une politique multivectorielle, tournée à la fois vers l’Union
européenne et la Russie.
L’enjeu
de ce scrutin est double.
Tout d’abord il concerne la politique
intérieure de la Biélorussie et le régime politique et économique dans
lequel les Biélorusses vivront pendant les prochaines années. La
démocratie a-t-elle une chance de gagner dimanche ? Ou bien le régime
néo-soviétique actuel a-t-il encore de beaux jours devant lui ?
Le régime autoritaire de
Loukachenko, malgré les pressions occidentales, a instauré une politique
de sabotage du scrutin en sapant les conditions requises pour des
élections équitables, transparentes et démocratiques: harcèlement de la
presse indépendante, assassinats politiques et de journalistes (notamment
Mme Veronika Teherkassova en 2004, journaliste pour le journal
indépendant Salidarnosc, interdit de publication y compris sur
internet), pression sur les ONG, limitation du temps de parole dans
les média des candidats de l’opposition, etc. Environ 400 observateurs
internationaux seront présents pour surveiller l’élection, mais ils ne
seront pas autorisés à assister au comptage des bulletins de vote.
D’autre part, la peur entretenue
par Loukachenko fait que Milinkievitch dispose d’un soutien populaire
insuffisant. L’autre raison de ce manque de visibilité et de popularité
du principal candidat de l’opposition tient au fait qu’en Biélorussie,
les retraites sont plus élevées que dans la majorité des pays de la Communauté des Etats Indépendants et que la situation économique n’est pas
aussi désastreuse qu’elle ne l’a été dans les pays voisins durement
touchés par la transition économique qui n’a pas véritablement commencé
en Biélorussie.
L’autre enjeu stratégique de ce scrutin touche
aux relations futures entre la
Russie et l’Union Européenne. Une
défaite du candidat de l’opposition laisserait la Biélorussie dans une zone grise géopolitique entre l’UE élargie et la Russie,
ce qui pourrait à terme revigorer le projet d’union entre la Russie
et la Biélorussie, aujourd’hui encore vide de contenu. Rappelons
à ce titre que la Russie est le premier partenaire économique de la Biélorussie et qu’elle dispose d’un moyen d’influence et de pression
indéniable avec l’arme énergétique. Dans le plan de Poutine qui est de
reprendre la main dans l’espace post-soviétique, la Biélorussie constitue donc une pièce maîtresse.
Dans ces conditions, que l’on pourrait résumer à
la fois par une relative stabilité économique (qui est en réalité une
stagnation) et un climat pré-électoral où la propagande et les mesures
d’intimidation sont fréquemment utilisées, il est peut probable qu’un
scénario de révolution colorée se produise en Biélorussie, comme ce fut
le cas en Ukraine et en Géorgie. On ne peut donc qu’espérer que malgré
la montée de la violence politique, la fraude électorale annoncée n’aura
pas lieu. Reste à savoir quel sera le résultat de la rue.