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Osons une analyse étrangère au « politiquement correct ».
Comme dans le référendum français de mai 2005, ce qui est en cause, ce n’est, ni le texte soumis au vote – la campagne du « non » n’a pas critiqué le fond -, ni la méthode de son élaboration – les alternatives proposées, y compris par les trotskystes, consistent à réinventer la Convention européenne que présidait Giscard -, ni même un soi-disant divorce des peuples avec l’Europe : aucun pays n’a autant profité financièrement, économiquement, politiquement et même historiquement de son appartenance au club européen. Tous les sondages le montraient il y a encore trois mois, et le remontreront dans trois mois. Alors ?
Le vrai obstacle sur lequel nous butons, c’est sur la méthode de ratification. Elle comporte trois défauts rédhibitoires.
Le premier, le plus flagrant, et, curieusement, celui dont on a le moins parlé jusqu’à présent : l’obligation de l’unanimité. Un traité européen ne peut entrer en vigueur que s’il est signé et ratifié par tous les Etats membres. C’était jouable dans l’Europe des Six. A 27, la tâche devient quasiment insurmontable. D’autant que, dans la plupart des pays – comme c’est le cas en France -, l’application du nouveau traité exige une modification de la Constitution nationale, qui n’est elle-même possible qu’avec une majorité des deux tiers ou des trois quarts au Parlement. En pratique, il faut donc une double unanimité, celle des 27 majorités au pouvoir et celle des principaux partis d’opposition de chaque pays ! En 2008, miracle : cette condition a été réunie dans tous les Etats membres, sauf le Royaume-Uni où, heureusement, une majorité simple suffisait. Et pourtant, le soutien de 80% des parlementaires irlandais n’a pas suffi !
Le second défaut, c’est le choix laissé à chaque Etat membre du calendrier et de la méthode de sa ratification. Les dirigeants se condamnent à affronter l’épreuve dans le désordre, sans prendre en compte le fait que chaque pays dépend de ce qui se passe dans tous les autres et que, inversement, sa décision affecte tous les autres. Ce désordre conduit, au mieux au malaise, au pire à l’échec. Le malaise, à partir du moment où tous les citoyens ne sont pas traités de manière égale dans l’Union, ceux qui sont appelés à voter donnant l’impression de s’exprimer au nom de tous les autres. L’échec, à cause des inconvénients liés à la procédure elle-même du référendum.
C’est la troisième faille du dispositif. Ce n’est pas un hasard si le référendum est la procédure la plus prisée par les dictateurs. Aucune ne se prête à un tel détournement d’interprétation du vote populaire, soit en faveur, soit contre les gouvernants du moment.
Le bon usage démocratique du référendum, c’est d’en faire deux par siècle, ou deux par an : dans le premier cas, le peuple comprend le caractère historique de sa décision, dans le second il prend l’habitude de répondre à la question posée, et seulement à elle. Entre les deux, le référendum est utilisé comme un plébiscite, ou instrumentalisé pour d’autres causes : en Irlande, la campagne de la presse anti-européenne s’est concentrée sur les difficultés de l’agriculture, le discrédit d’un gouvernement ébranlé par un scandale financier, et un débat hors sujet sur l’avortement, l’euthanasie et l’alliance atlantique ! Tout comme en France, il y a trois ans, les « nonistes » avaient surfé sur la directive Bolkestein, la candidature turque et l’impopularité massive de nos gouvernants de l’époque. Le système et le contexte poussent les électeurs à utiliser leur bulletin de vote comme un moyen d’expression, et non comme une participation à la décision – « il y aura toujours un plan B » lui murmure-t-on complaisamment à l’oreille.
Il y a eu un « plan B », après l’échec du traité constitutionnel : il est venu, non de Laurent Fabius ou des autres « nonistes », mais de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel – c’était le traité de Lisbonne. Mais, cette fois, il n’y aura pas de « plan C » : même dans l’histoire pieuse, les miracles ne se produisent pas trois fois. On ne peut pas sérieusement demander à une quinzaine de pays qui ont été amenés à ratifier déjà deux traités différents sur le même objet, à en ratifier un troisième. Il faudra donc que les Irlandais soient mis devant leurs responsabilités : ou bien, comme en 2001, lorsqu’ils avaient d’abord rejeté le traité de Nice, ils ont simplement besoin d’être rassurés sur la portée du nouveau texte pour retirer leur veto ; ou bien, ils n’ont plus confiance au sein de la famille européenne, et c’est un divorce qu’il faudra négocier.
Mais il est une chose sur laquelle fédéralistes et souverainistes s’accordent : un pays est seul maître de son destin, mais il n’est pas habilité à décider du destin des autres. Les 4 millions de citoyens de la verte Erin sont libres de décider s’ils veulent continuer de participer à l’aventure ; ils ne sont pas légitimes pour décider de l’avenir des 490 millions d’Européens qui vivent dans les 26 autres pays de l’Union.
L'Atelier
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