Référendum sur le Traité de Lisbonne (prévu le 2 octobre 2009)
Une équipe de l'Atelier Europe s'est rendue à Cork à l'occasion du symposium sur la citoyenneté européenne (organisé par l'Alliance Française et sa Directrice, l'excellente Hélène Duquin, représentante de l'Atelier en Irlande) qui a marqué l'ouverture de la campagne pour le référendum sur le Traité de Lisbonne. L'Atelier s'est évidemment fait un devoir de s'engager sur le terrain en faveur du Traité.
Nous sommes venus en Irlande animés du désir de mieux comprendre le contexte politique actuel et le sentiment des Irlandais au regard de l'Europe et singulièrement du référendum du 2 octobre prochain.
L'Irlande, c'est d'abord la grande gentillesse de ses habitants. Que vous cherchiez votre chemin, que vous soyez curieux de comprendre ce pays et son histoire ou bien que vous souhaitiez simplement discuter de la pluie (beaucoup) et du beau temps (un peu), vous trouverez toujours un interlocuteur loquace. Le légendaire accueil irlandais, me direz-vous. Pourtant, ce trait n'a rien d'anecdotique quand il s'agit de considérer le rapport des Irlandais à l'Europe. L'Irlandais se définit toujours comme pro européen car il est pacifique, ouvert aux autres et qu'il serait presque grossier pour lui de ne pas faire "bonne figure" avec les pays qui l'entourent. Tel un voisin de palier avec lequel il est bon d'entretenir de bonnes relations.
On reproche parfois à l'Europe sa complexité, son juridisme bien abscons pour les peuples qui la composent. Ici, la question du rapport à l'UE ne se situe pas à ce niveau. C'est le projet européen lui-même qui semble une abstraction pour le citoyen irlandais. Celui-ci est inscrit dans une ruralité, une simplicité de vie bien éloignée de considérations géopolitiques. L'histoire, ici, c'est celle d'un peuple qui a lutté pour son indépendance et qui se méfie de toute forme de sujétion. Un convive, lors du repas qui a précédé le symposium, a ainsi fait ce commentaire à un conseiller de l'Ambassadeur de France: "la France était une puissance coloniale, n'est-ce pas?". Le souvenir de la lutte contre l'Anglais est prégnant et l'UE fut l'opportunité de sortir d'un tête-à-tête avec l'ancien empire (l'essentiel des échanges commerciaux se faisait avec la Grande-Bretagne avant l'adhésion de l'Irlande à l'UE, aujourd'hui les échanges avec les Etats-Unis et l'Europe sont majoritaires).
Dès lors, en Irlande, s'agissant de l'Europe, point d'idée de réconciliation historique, telles la France et l'Allemagne, point de rêve émancipateur, telles l'Espagne et l'Italie, ni de volonté d'ancrage européen, telle la Pologne ou la Hongrie. Ici, l'Europe c'est le désir de vivre en bonne entente avec ses voisins, sans violon ni trompette, et le projet de civilisation des Pères fondateurs semble une chimère pour une nation marquée, comme son voisin honni, par son insularité. D'abord et avant tout jaloux de son identité, donc.
Aujourd'hui le Pays connaît une violente crise. Dépendant des investissements américains, il a connu une bulle immobilière et financière particulièrement développée. Avec l'effondrement des marchés spéculatifs, le tigre a perdu ses griffes et l'Irlande renoue avec ses vieux démons: le chômage de masse qui a incité des générations d'Irlandais à émigrer et une perte de niveau de vie drastique (par exemple, en début d'année 2009, le gouvernement a baissé de 7% le salaire de tous les fonctionnaires). Les citoyens sont donc légitimement furieux et ils reportent leur courroux contre toutes les actions de leur gouvernement. Hélas pour nous, Européens, y compris lorsque Brian Cowen, le Taoiseach (Premier ministre), propose de voter "Yes" au Traité de Lisbonne. L'impopularité du gouvernement est évidemment du pain béni pour les tenants du "No". Regardez ce gouvernement d'incapables, il ne vous respecte pas: vous votiez non en 2008? Il vous fait revoter en 2009!
Une scène, au cours du symposium, atteste de la position défensive du gouvernement. Une dame interpelle un représentant du gouvernement sur le mépris du vote populaire de juin 2008. Contrit, le haut fonctionnaire se perd en conjectures et il s'avère incapable de justifier le deuxième vote malgré les concessions obtenues par son gouvernement. Intervient alors, dans une scène courtelinesque, l'Ambassadeur de Turquie en Irlande. Posément, il démontre adroitement à quel point le texte soumis à référendum est distinct du premier (maintien du Commissaire irlandais, garantie sur la neutralité irlandaise et l'interdiction de l'avortement, etc.). Stupeur de la salle; est-ce la Turquie qui sauvera le Traité de Lisbonne? Il faut croire qu'aucun soutien n'est de trop pour un gouvernement visiblement dépassé par les évènements.
Face à la perte de crédit de leur gouvernement, et plus largement de la classe politique, les opposants au Traité de Lisbonne se régalent des mensonges outranciers qui composent les nombreuses affiches vues dans les rues de Dublin et de Cork (nous n'avons pas vu d'affiches en faveur du Traité). Avec Lisbonne, ce sera un salaire minimum à 1,84€ de l'heure, lit-on! Plus c'est gros, plus cela passe comme le veut le dicton populaire. Et le Commissaire européen Mc Creevy (faut-il rappeler qu'avant son passage contesté à la Commission, ce monsieur était, comme ministre des finances, l'un des artisans de la dérégulation du marché financier irlandais) a cru bon, après avoir benoîtement avoué ne pas avoir lu le Traité au cours de la campagne pour le premier référendum, nous gratifier cette fois d'un "95% des Européens voteraient contre le Traité de Lisbonne". Faux, stupide, mais les opposants à Lisbonne en font leurs choux gras évidemment!
Heureusement, contrairement au premier référendum, les défenseurs du Traité s'organisent. Ainsi, les responsables politiques qui demeurent populaires s'engagent cette fois dans la bataille. Il faut saluer le dynamisme de Pat Cox, ancien président du Parlement européen, qui, dès la première semaine de campagne officielle, s'engageait dans une trentaine d'évènements (ouverture de permanences, conférences, débats, etc.).
De même, les moins de 26 ans, largement opposés au Traité en 2008, ont cette fois été l'objet d'une attention particulière. Des associations ont été fondées à leur endroit, telle "Generation Yes", dont nous avons rencontré le bloggeur en la personne du talentueux Stephen Spillane. Avec son groupe, il mène une campagne active pour dénoncer les mythes et mensonges véhiculés par les opposants au Traité. Il mobilise également une jeunesse irlandaise largement tournée vers l'Europe. Hélas, le droit de vote étant lié à la résidence en Irlande, les nombreux expatriés en Europe (300 000 sur une population totale de 4 millions d'habitants) ne pourront pas exprimer leurs suffrages, ce qui est en soi un déni de démocratie, mais la jeunesse présente en Irlande aspire elle-aussi aux promesses de cette grande Europe.
Enfin, si le camp des promoteurs du Traité recule, il demeure largement en tête en termes d'intentions de vote; selon l'Irish Times (édition du 4 septembre 2009), 46% voteraient "Yes", contre 29% "No", 25% étant hésitants.
Au terme de notre séjour en Irlande, l'issue du scrutin du 2 octobre nous est apparue incertaine. Arrivés confiants du fait d'un contexte radicalement différent de celui de 2008, nous sommes repartis songeurs. Certes, à cette date, pour la première fois l'Irlande devenait contributeur net au budget européen. En revanche, en 2009, l'Europe n'est plus une charge pour l'Irlande mais bel et bien une protection et chacun a en mémoire le cas de l'Islande et de l'effondrement de sa monnaie. Toutefois, ce sentiment, communément partagé en Europe, selon lequel l'Irlande ratifiera le Traité de Lisbonne du fait du contexte de crise, est trompeur. La conjoncture économique crée sans doute un contexte plus favorable au camp européen mais, les Irlandais ne se prononceront pas seulement sur ce terrain-là, la crise nourrit un violent sentiment de rejet à l'encontre du gouvernement et il n'est pas certain que le risque, en cas de vote négatif, d'un déclassement de l'Irlande en Europe soit ressenti. Encore moins les conséquences pour l'UE dans son ensemble. Le combat s'annonce donc long et difficile.
Toutefois, ne nous laissons pas gagner par le pessimisme. Un ancien ministre irlandais nous confiait: "les Irlandais ne sont pas comme les Anglais, ils ne sont pas viscéralement anti européens; ils se méfient simplement de tout excès bureaucratique". Souhaitons que, loin de tout juridisme, les promoteurs du Traité sachent parler au cœur de nos concitoyens Irlandais!