Si de toute l'histoire du continent européen, on ne devait retenir que dix images, celle de la chute du mur de Berlin et des milliers d'Allemands de l'Est passant à l'Ouest en ferait partie. Au côté de quelques autres, elle symbolise l'aspiration irréductible à la liberté. Le mur de Berlin qui tombe, c'est la fin d'une époque qui commence. Un choc géopolitique immense qui redistribua les cartes du monde, comparable de par son ampleur à la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, qui mit fin au Moyen-âge et ouvrit la voie de la Renaissance. Mikhaïl Gorbatchev dira plus tard « qu'en 1989, l'histoire est sortie de ses gonds ». Tout est allé très vite, depuis les cris de la foule du 7 octobre 1989, qui scandait des « Gorbi, Gorbi », devant un leader soviétique aussi froid qu'indifférent devant les parades qui commémoraient les quarante ans de la RDA. Un mois après, le mur tombait.
Revenons un court instant sur le contexte de l'époque. D'un côté, il y a un Erich Honecker convaincu du système qu'il incarne, qui tente de ressouder un régime fossilisé, largement fissuré, et qui ne produit plus que sa propre administration. De l'autre, une URSS à bout de souffle, qui n'a plus les moyens de ses ambitions. Gorbatchev a accompagné ce changement radical, sans l'avoir totalement suscité, mais en ayant été le déclencheur avec la Perestroïka, et le principal acteur des évènements. Tout a été très vite, en revanche les signes avant-coureurs de la forte volonté de changement étaient déjà là, et l'aspiration à la liberté, lointaine. Depuis quelques années, on assistait à un certain nombre de mouvements croissants des opposants, qui se sont retrouvés notamment dans les églises, dont celle de Leipzig fut le précurseur dans le combat. L'absence de liberté, de propriété privée, de légitimité électorale, les privations, les répressions en tout genre : le système ne pouvait qu'imploser sous le poids de ses interdictions internes, car il était en outre pas tenable dans les défis de la mondialisation. Aspiration lointaine à la liberté car avant 89, il y a eu Budapest en 56, Prague en 68, et les combats de Lech Walesa au début années 80, qui aboutirent en juin 1989 à des élections semi libres et à la victoire de Solidarnosc en Pologne.
L'Atelier Europe ne pouvait que se joindre par la pensée et par le cœur à toutes les manifestations de commémoration célébrant la fin des totalitarismes à l'Est de l'Europe. Dans notre combat quotidien d'œuvrer à la construction de l'Europe des citoyens, il nous est apparu primordial de réfléchir à l'héritage géopolitique et comportemental de cet évènement historique capital, les stigmates qu'il laisse dans l'histoire présente, les défis qu'il laisse encore pour l'avenir. Car aujourd'hui, il est bien difficile de dresser un tableau univoque de ces sociétés postcommunistes de l'Est de l'Europe, intégrées à l'Union depuis le dernier élargissement, et de tenter d'y voir clair dans le chemin futur qu'elles souhaitent emprunter. Certains montrent ce que l'on appelle maintenant une « ostalgie » assumée, c'est-à-dire une nostalgie des régimes communistes, présentés comme des modèles sociaux parfaits. Au détail près que ces tenants amnésiques d'une partie de leur histoire en oublient la répression et l'anéantissement de l'individu que tous ces régimes ont engendré. D'autre virent dans le nationalisme outrancier, ou la diabolisation voire le rejet de l'Union européenne, qui leur paraissait pourtant si séduisante en 1989, comme l'ont montré les gesticulations récentes du Président tchèque Klaus. En 1989, le Président François Mitterrand, qui montra une extrême prudence et une grande vigilance sur tous ces évènements, voire un machiavélisme ou un aveuglement qui trahissait une vision stratégique désuète, fit part de son interrogation au Ministre des affaires étrangères allemand de l'époque, Hans-Dietrich Gensher : « Quel chemin va suivre l'Allemagne réunifiée ? Va telle poursuivre son engagement européen ? » C'est dans cette atmosphère de doutes que des conditions furent posées par les membres de l'UE à la réunification allemande : intangibilité des frontières, fixation de la frontière sur la ligne Oder-Neisse, ancrage allemand dans la Communauté européenne et dans l'Alliance atlantique et dénucléarisation. Aujourd'hui encore, les tractions de couloir, dont les dernières s'apparentent davantage à de vils marchandages, n'ont pas disparu des chancelleries : aujourd'hui Klaus et les Sudètes, hier les marks d'Helmut Kohl que se disputaient l'URSS et la RDA. Malgré la position très controversée du Président français à l'époque, qui reprenait la formule à la fois ironique et lapidaire de François Mauriac, « Nous aimons tellement l'Allemagne que nous préférons qu'il y en ait deux », nous pouvons retenir cette phrase que Mitterrand a soufflé à Kohl, et sur laquelle ceux qui doutent de l'UE aujourd'hui devraient méditer : « Si vous utilisez la force magnétique de l'Europe pour faire la réunification allemande, l'URSS ne pourra pas s'y opposer » (François Mitterrand, rapporté par Jacques Attali, sommet franco-allemand du 3 novembre 1989). « La force magnétique » : c'est bien elle qu'il va falloir utiliser pour transcender nos divisions, réformer nos institutions, faire de l'Europe un véritable acteur de la mondialisation, éviter une nouvelle division de l'Europe et renforcer, encore et toujours, le lien entre les institutions de l'Europe, les élus et ses citoyens. La chute du mur de Berlin nous rappelle la force de la volonté des peuples. Il ne faut pas céder à la torpeur, laisser l'histoire se faire devant nos yeux sans y participer, et rejoindre les anathèmes anti-européens que l'on entend beaucoup actuellement, comme ceux que l'Atelier Europe a entendu à Prague, lorsque certains de nos interlocuteurs ont comparé la défense européenne au Pacte de Varsovie.
Mikhaïl Gorbatchev déclarait en juin 1989, alors en visite officielle dans une RDA aux abois, que « les dangers ne guettent que ceux qui ne réagissent pas à la vie ». L'UE n'en est peut être pas aux abois, mais elle a clairement besoin d'un nouveau souffle sous peine de trébucher. Il nous faut donc continuer notre action de mobilisation des citoyens, afin de construire une Europe qui nous ressemble. Sans cette mobilisation continue, nous risquons de nous réveiller un jour dans une Europe qui nous est étrangère, dans laquelle on ne se reconnaît plus. C’est pourtant elle qui structure une grande part de notre quotidien, et les grandes causes mobilisatrices ne manquent pas. Pour finir, juste pour l’anecdote, savez-vous ce que sont devenus les chiens de garde du mur, ces bergers allemands dont la si peu noble vocation était de protéger le rideau de fer ? Ils ont été exposés très peu de temps après la chute du mur, lors d’une vente animalière. Mais personne n’a voulu des témoins d’une histoire si gênante, ils ont alors été recueillis par une société protectrice des animaux. Et ils ont fini par mourir d’ennui dans leur cage…
L'Atelier Europe ne pouvait que se joindre par la pensée et par le cœur à toutes les manifestations de commémoration célébrant la fin des totalitarismes à l'Est de l'Europe. Dans notre combat quotidien d'œuvrer à la construction de l'Europe des citoyens, il nous est apparu primordial de réfléchir à l'héritage géopolitique et comportemental de cet évènement historique capital, les stigmates qu'il laisse dans l'histoire présente, les défis qu'il laisse encore pour l'avenir. Car aujourd'hui, il est bien difficile de dresser un tableau univoque de ces sociétés postcommunistes de l'Est de l'Europe, intégrées à l'Union depuis le dernier élargissement, et de tenter d'y voir clair dans le chemin futur qu'elles souhaitent emprunter. Certains montrent ce que l'on appelle maintenant une « ostalgie » assumée, c'est-à-dire une nostalgie des régimes communistes, présentés comme des modèles sociaux parfaits. Au détail près que ces tenants amnésiques d'une partie de leur histoire en oublient la répression et l'anéantissement de l'individu que tous ces régimes ont engendré. D'autre virent dans le nationalisme outrancier, ou la diabolisation voire le rejet de l'Union européenne, qui leur paraissait pourtant si séduisante en 1989, comme l'ont montré les gesticulations récentes du Président tchèque Klaus. En 1989, le Président François Mitterrand, qui montra une extrême prudence et une grande vigilance sur tous ces évènements, voire un machiavélisme ou un aveuglement qui trahissait une vision stratégique désuète, fit part de son interrogation au Ministre des affaires étrangères allemand de l'époque, Hans-Dietrich Gensher : « Quel chemin va suivre l'Allemagne réunifiée ? Va telle poursuivre son engagement européen ? » C'est dans cette atmosphère de doutes que des conditions furent posées par les membres de l'UE à la réunification allemande : intangibilité des frontières, fixation de la frontière sur la ligne Oder-Neisse, ancrage allemand dans la Communauté européenne et dans l'Alliance atlantique et dénucléarisation. Aujourd'hui encore, les tractions de couloir, dont les dernières s'apparentent davantage à de vils marchandages, n'ont pas disparu des chancelleries : aujourd'hui Klaus et les Sudètes, hier les marks d'Helmut Kohl que se disputaient l'URSS et la RDA. Malgré la position très controversée du Président français à l'époque, qui reprenait la formule à la fois ironique et lapidaire de François Mauriac, « Nous aimons tellement l'Allemagne que nous préférons qu'il y en ait deux », nous pouvons retenir cette phrase que Mitterrand a soufflé à Kohl, et sur laquelle ceux qui doutent de l'UE aujourd'hui devraient méditer : « Si vous utilisez la force magnétique de l'Europe pour faire la réunification allemande, l'URSS ne pourra pas s'y opposer » (François Mitterrand, rapporté par Jacques Attali, sommet franco-allemand du 3 novembre 1989). « La force magnétique » : c'est bien elle qu'il va falloir utiliser pour transcender nos divisions, réformer nos institutions, faire de l'Europe un véritable acteur de la mondialisation, éviter une nouvelle division de l'Europe et renforcer, encore et toujours, le lien entre les institutions de l'Europe, les élus et ses citoyens. La chute du mur de Berlin nous rappelle la force de la volonté des peuples. Il ne faut pas céder à la torpeur, laisser l'histoire se faire devant nos yeux sans y participer, et rejoindre les anathèmes anti-européens que l'on entend beaucoup actuellement, comme ceux que l'Atelier Europe a entendu à Prague, lorsque certains de nos interlocuteurs ont comparé la défense européenne au Pacte de Varsovie.
Mikhaïl Gorbatchev déclarait en juin 1989, alors en visite officielle dans une RDA aux abois, que « les dangers ne guettent que ceux qui ne réagissent pas à la vie ». L'UE n'en est peut être pas aux abois, mais elle a clairement besoin d'un nouveau souffle sous peine de trébucher. Il nous faut donc continuer notre action de mobilisation des citoyens, afin de construire une Europe qui nous ressemble. Sans cette mobilisation continue, nous risquons de nous réveiller un jour dans une Europe qui nous est étrangère, dans laquelle on ne se reconnaît plus. C’est pourtant elle qui structure une grande part de notre quotidien, et les grandes causes mobilisatrices ne manquent pas. Pour finir, juste pour l’anecdote, savez-vous ce que sont devenus les chiens de garde du mur, ces bergers allemands dont la si peu noble vocation était de protéger le rideau de fer ? Ils ont été exposés très peu de temps après la chute du mur, lors d’une vente animalière. Mais personne n’a voulu des témoins d’une histoire si gênante, ils ont alors été recueillis par une société protectrice des animaux. Et ils ont fini par mourir d’ennui dans leur cage…
Camille Roux