La nomination de M. Herman Van Rompuy et la
Baronne Catherine Ashton aux postes créés par le Traité de Lisbonne ainsi que
la composition de la nouvelle Commission européenne ont offert un spectacle
profondément affligeant. Tant par ses manifestations que par ses silences. Les
spéculations sont allées bon train, avec un degré de légèreté et d'incertitude «
gourmande » impropres à la gravité du sujet. Surtout, l'absence d'information,
y compris dans les milieux bruxellois, traduit l'étrangeté du processus, en
l'occurrence des conciliabules dignes du Congrès de Vienne ! Silence, les
Grands décident et que le bon peuple retienne son souffle !
Constatons et regrettons tout à la fois que
cette méthode semble être conforme à la tradition bureaucratique opaque de
l'UE. En effet, si le contexte des années 1950 a nécessité un fonctionnement
plus technocratique que politique, néanmoins il veillait à assurer une certaine
cohésion entre les États membres fondée sur le principe d'égalité. Ici, nous
assistons à un morcellement de l'UE sous forme de coalitions diverses : le
couple franco allemand, la Grande-Bretagne et les Pays nordiques, les nouveaux États membres, etc. Au terme de ce processus, il n'est pas exclu que certains
gouvernements nourrissent quelques ressentiments à l'encontre du choix des
heureux élus.
A minima, un constat s'impose; le degré
d'impréparation est d'un niveau rarement atteint malgré la grande tradition
étatique des CIG (conférences intergouvernementales à organisation et durée
baroques). Or, le choix du nouveau
Président et du Haut Représentant était décisif pour l'avenir proche de
l'Union.
On aurait pu espérer que le nouveau
Président soit une personnalité qui puisse véritablement incarner la dynamique
européenne et qu'il donne du souffle mais le processus de désignation a abouti
à un choix mou.
Pourtant, le caractère du personnage aura
un impact appréciable sur l'organisation institutionnelle, notamment les
relations d'avec la Commission et son président. Un des enjeux en sera
l'accentuation, ou non, du glissement actuel vers le tout intergouvernemental,
pondéré de parlementarisme mais avec une Commission reléguée dans une fonction
purement technique.
Le poste de Haut Représentant, ou Ministre
des affaires étrangères selon la terminologie du Traité constitutionnel, était
un enjeu aussi décisif. Le Traité de Lisbonne n'est guère précis quant au
périmètre du poste. De l'aveu de la Présidence suédoise, ce sera à l'heureuse
itulaire de proposer un projet.
Or, la tâche est immense et elle ne sera pas sans conséquence sur le
fonctionnement de l'UE.
Il conviendra de constituer un véritable
service diplomatique européen. Mais qui le composera? Des fonctionnaires
nationaux ou bien européens? Beaucoup craignent une mainmise des grands États
et il est à craindre que la volonté franco allemande de proposer un Président
issu d'un "petit" pays ne révèlait que la volonté de nommer, a
contrario, un Haut Représentant issu d'un "grand" pays et soucieux
d'assurer le contrôle des principales chancelleries nationales sur le nouveau
service d'action extérieure.
Par ailleurs, la fonction de Haut
Représentant est également incertaine car elle constitue une novation au regard
de l'architecture institutionnelle communautaire. La séparation nette entre la
Commission (garant de l'intérêt communautaire) et le Conseil (garant de
l'intérêt des États) est remise en cause par le caractère hybride du poste:
rattaché au Conseil mais Vice-président de la Commission. Il ne sera pas aisé
de jongler entre ces deux "casquettes" et nous pouvons craindre que
la fidélité à l'encontre de l'organe qui l'a nommée, le Conseil, ne l'emporte.
Un conflit d'intérêt n'est pas à exclure; qu'en sera-t-il quand la Commission
discutera d'une action, par exemple devant la Cour de Justice, contre un État
membre? La Haute Représentante ne risquera-t-elle pas également d'être
considérée de part et d'autre comme un cheval de Troie? Le risque d'affecter
l'équilibre du système n'est pas négligeable et il eût été bon que les Etats
prennent en compte, dans leur choix, les compétences européennes des
candidats.
Outre l'impréparation, la lenteur du
processus décisionnel est regrettable. Certes, le référendum irlandais sur le
Traité de Lisbonne a justifié un certain retard mais, s'agissant de la nouvelle
Commission, le décalage entre l'élection du Parlement européen en juin 2009 et
l'entrée en vigueur de la nouvelle Commission, début 2010, ne renforcera pas la
confiance des citoyens dans leurs institutions européennes et dans la capacité
d'action de celles-ci.
Il est temps que l'UE fonctionne comme
une démocratie véritablement moderne. Nous évoquons souvent la légitimité
démocratique de l'UE mais il est bon également de se soucier de son efficacité.
Or, le système de nominations actuel n'a ni l'un ni l'autre.
Les tergiversations récentes du Conseil
européen ne sont pas sans rappeler la sclérose du pouvoir royal incapable de
s'adapter aux aspirations nouvelles offertes par les Lumières. La lenteur de
l'Europe est dérisoire au regard des exigences de notre temps. Un esprit
européen et optimiste y verra le crépuscule d'un monde ancien comme signe
annonciateur du renouveau européen. Plus prosaïquement, souhaitons que l'UE se
donne enfin un leadership clair et efficace. En un mot, unifié.
Centre d'Etude et de Prospective Stratégique
Délégué général
Jérôme Cloarec
Atelier Europe
Président