Comme de coutume, une délégation de l'Atelier Europe s'est rendue dans l'État membre présidant le Conseil des Ministres de l'Union européenne (UE), et ce du 21 au 24 octobre 2010. Toutefois, contrairement à notre habitude, et parce que rien ne se fait en Belgique comme ailleurs, nous nous sommes concentrés sur la dimension européenne en soi et non sur le rapport du pays à l'UE. Celui-ci apparaît évident, puisque la Belgique est l'État hôte et, faut-il le saluer, un acteur exemplaire de l'histoire de la construction communautaire. Point de gouvernement local, peut-on également déplorer, dans un contexte de crise identitaire.
C'était donc acquis, nous irions en Belgique sans rencontrer des responsables belges; un hommage à la tradition surréaliste locale, en somme. Toutefois, nous n'avons pas ignoré Bruxelles, ville cosmopolite, vivante et accueillante pour les uns, déstructurée et grise pour les autres. Un curieux mélange dans tous les cas entre une plateforme internationale et le sentiment d'une ville à taille humaine, pour employer une expression de saison, et à l'ambiance parfois désuète.
L'Europe, puisque c'est cela qui nous y amène, a de fait davantage annexé Bruxelles, ou une partie de la ville, qu'elle ne s'y est fondue. Un pan entier d'un quartier historique, il est vrai à l'époque à l'état de décrépitude, fut abattu pour construire le quartier européen, véritable incarnation du rêve pompidolien de la ville centrée sur l'automobile et structurée selon des axes aussi grandioses que glaciaux. Malgré, forcément, des incompréhensions, les deux mondes coexistent en bonne intelligence mais à l'image d'une Europe qui n'a pas su, pour l'heure, créer ce sentiment de communauté qui dépasse la simple coexistence, fût-elle coopérative. Bref, le ciment qui unit.
Nos entretiens nous ont permis de rencontrer des responsables issus des trois pôles du fameux triangle institutionnel (Parlement, Conseil et Commission), expression désormais caduque du fait des enchevêtrements institutionnels. Et là, l'architecture rencontre le politique: comment diable lutter contre le sentiment d'une Europe "hors sol"?
L'UE vit dans un état de crise permanente depuis plusieurs années, a minima depuis l'échec du traité constitutionnel. La crise économique s'est greffée à une crise institutionnelle et l'UE, avec ses moyens limités (en gros 1% du PIB), essaie de répondre aux attentes des citoyens. L'oxymore d'une « crise salutaire » fait sourire, ou plutôt grimacer, mais celle-ci a eu le mérite de rappeler aux européistes que la construction communautaire n'était pas une évidence, un chemin linéaire vers la fédération à laquelle le citoyen adhérerait naturellement.
Nos entretiens nous ont permis de mesurer à quel point l'UE avait conscience de la méfiance, désormais, des citoyens envers l'UE. La volonté de réforme est réelle mais n'est-elle pas vaine? De fait, on ne peut pas demander à une bureaucratie, qu'elle soit locale, nationale ou européenne n’y change rien, de produire ce pourquoi elle n'est pas destinée: proposer un agenda politique de nature à fédérer les citoyens autour d'un projet commun.
Aucune technostructure n'a jamais produit de sens. Le souci de l'UE, ce n'est pas son eurocratie, un régime d’état de droit doit se féliciter de sa qualité, mais le fait que celle-ci ne soit pas adossée à un tout politique. L'illusion fonctionnait quand l'Union ne comptait que quelques membres et que le consensus franco allemand suffisait a légitimer le systeme. Tout ceci est une gageure quand elle compte 27 membres. L'UE est étêtée, elle ne dispose pas de ce centre politique de nature à guider cette technostructure qui gagne en complexité a mesure qu’elle croît, et ce au détriment de sa capacité d’action.
Il n'y a pas de fatalité à ce que l'UE ne crée un tel centre politique, comme en témoigne le rôle déterminant du Parlement européen, et les conditions pour y parvenir seront encore longtemps débattues. Là réside l'enjeu de sa survie, car dans sa configuration actuelle, faute de leadership, on s'apercevra tôt ou tard que le roi est nu et que son royaume est en proie à de violentes forces centrifuges, à commencer par la vague populiste qui menace l'Europe. N'attendons toutefois pas une solution venue d'en haut, d'une prétendue eurocratie, spectre bien commode pour qui se refuse tout devoir; à nous, citoyens, de prendre en main la destinée de l'UE qui, in fine, prendra le visage de ce que nous avons voulu, ou refusé de lui donner, à l'instar d'une Bruxelles quelque peu délaissée. D'une Europe de contestation à une Europe de participation. Au terme de ce séjour bruxellois, c'est bien dans la recherche de cet impératif vital que l'Atelier s'est vu conforté.
Jérôme Cloarec
Voir également:
- Rencontre avec Gilles Bertrand, conseiller Méditerranée du Commissaire Füle, en charge de l’élargissement et de la politique de voisinage
- Rencontre avec Romain Bonenfant, Conseiller à la Représentation permanente de la France auprès de l'UE
- Rencontre avec Marek Evision, Conseiller spécial auprès de Jerzy Buzek, Président du Parlement européen
- Rencontre avec Fabian Zuleeg, Chief Economist au European Policy Centre
- Rencontre avec Jean Pisani-Ferry, Directeur du Cercle de réflexion Bruegel
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