Dans son entretien avec Alain Juppé sur France 2, le 29 septembre 2011, Eric Zemmour reprend son bâton de pèlerin noniste pour opposer l'Union européenne et la France au motif qu'il n'y aurait pas de nation européenne. Suivant sa thèse, tous les mécanismes politiques et financiers nous associant aux autres Etats membres, à commencer par l'euro, auraient pour objectif de dissoudre la nation française et miner ses intérêts économiques.
L'euro serait ainsi responsable :
- du niveau si élevé de la dette française car la France ne "méritait pas des taux d'intérêt si bas" du fait de sa mauvaise gestion budgétaire ;
- du niveau de compétitivité amoindri de l'économie française, freinant ses exportations ;
- de la création d'un marché captif dans la zone euro au profit de l'Allemagne, qui lui ferait bénéficier de sa meilleure compétitivité, empêchant la France de se défendre.
Pourtant, la "rationalité" dont se prévaut par dessus tout Eric Zemmour ne résiste pas à l'examen des faits et des chiffres.
Eric Zemmour part du principe que sans l'euro, nos taux d'intérêt seraient montés en flèche et auraient forcé nos gouvernants à infléchir les choix budgétaires effectués. Or l'histoire de la politique macro-économique des gouvernements français au cours des 30 dernières années montre au contraire que le scénario n'aurait pas été bien différent. Les années 80 et 90 ont été marquées par l'ancrage européen, ce qui a signifié en pratique un alignement sur la politique monétaire allemande. Or la hausse consécutive des taux d'intérêts à l'époque n'a pas conduit nos dirigeants à infléchir la hausse des dépenses publiques et l'addiction à la dette.
La seule tentative en ce sens, celle engagée par le gouvernement Juppé en vue de nous qualifier pour l'euro, s'est en fait fracassée sur des considérations de politiques internes, et s'est révélée au final bien modeste. Et contre cette dérive, les autres garde-fous que devraient constituer le Parlement, la Cour des comptes, la Commission européenne mais aussi les marchés financiers, n'ont jamais été pris en considération, ni par la droite, ni par la gauche, jusqu'à la crise de la dette souveraine grecque en 2008. On ne peut donc que se féliciter que l'euro ait amorti le coût des choix budgétaires pris par le passé.
Sur le problème de la compétitivité, Eric Zemmour laisse croire qu'une sortie de l'euro permettrait de retrouver automatiquement une compétitivité vis-à-vis des partenaires de la zone euro et des pays tiers. Or si à l'exportation les prix des produits et services français seraient en théorie plus compétitifs à court terme, Eric Zemmour fait abstraction des autres effets induits par la dévaluation impliquée par une sortie de l'euro (que l'Atelier Europe a déjà détaillés):
- le renchérissement des matières premières et intrants, qui, compte tenu de la mondialisation, constituent une part croissante de la valeur de ces produits. Dès lors, le prix à l'export, malgré la dévaluation du franc, ne serait pas aussi bas qu'anticipé ;
- le coût pour l'économie française de fonctionner en dehors de la zone euro, notamment dans l'accès plus coûteux des entreprises aux sources de capitaux (les investisseurs exigeront d'une France très endettée une prime de risque plus élevée, alors que l'euro permet au contraire aux entreprises de se financer à des conditions particulièrement favorables) ;
- les dettes françaises, libellées en euros, sont déjà monumentales (près de 90%) du PIB, mais, suite à la sortie de l'euro, elles seront encore plus importantes ! Dès lors, puisqu'il s'agira de rembourser encore plus d'intérêts sur ces dettes, les investissements publics venant soutenir la compétitivité du pays (recherche, éducation, infrastructures, etc...) seront mécaniquement plus faibles. Dès lors, la sortie de l'euro ne semble pas de ce point de vue là un choix judicieux.
- la compétitivité n'est pas uniquement liée au prix : l'exemple des produits du nord de l'Europe montre qu'il est possible d'exporter des produits chers s'ils sont de bonne qualité. La sortie "par le haut", à savoir un positionnement sur les produits innovants à forte valeur ajoutée semble au contraire la seule voie viable pour durablement rendre l'économie française compétitive, et l'euro permet de limiter la hausse des matières premières, et plus généralement l'inflation importée.
En conclusion, Eric Zemmour présente comme des évidences des arguments spécieux assis sur des raisonnements fallacieux. L'assurance avec laquelle il les assène porte peut-être son effet sur un plateau de télévision, mais ils ne résistent pas un instant à une analyse plus poussée.