L'épisode tragi comique du (non) référendum grec a une portée bien supérieure au simple baroud d'honneur d'un dirigeant aux abois. D'abord il marque les limites, comme cela fut tant de fois décrié dans ce blog, d'une méthode intergouvernementale aujourd'hui dépassée. L'euro, de nature communautaire et donc fédérale, ne saurait dépendre des aléas de politique intérieure de dix-sept Etats. Simple question de bon sens. De même, la capacité régulatrice du couple/directoire franco allemand, du reste davantage loué à Paris qu'à Berlin, un peu comme la special relationship est vénérée à Londres mais ignorée à Washington, l'indifférence du fort au faible, sans doute, apparaît chaque jour plus insuffisante avec la répétition des crises. La dramaturgie du G20, façon Mère courage et Père fouettard, était sans conteste adaptée au décor cannois mais elle a envoyé au monde un signal désastreux sur la cacophonie européenne. Même le très prudent gouvernement japonais, à la suite des BRIC et des Etats-Unis, s'est fendu d'un communiqué appelant les Européens à oser l'unité avant d'espérer un quelconque soutien financier international. Pour l'heure, les Européens ont certes réalisé l'unanimité mais à l'extérieur et contre eux.
Ensuite, et surtout, la proposition d'un référendum a un impact politique, malgré son retrait, dont il ne faut pas sous estimer la portée. Depuis 2005 et le résultat négatif des référenda néerlandais et français, l'argument de l'Europe contre les peuples a été brandi par les opposants au Traité constitutionnel mais aussi par ceux choqués par une indifférence au choix exprimé. Force est de constater que la volte-face de M. Papandreou risque légitimement de nourrir de vives réactions dans un contexte de défiance vis-à-vis des autorités publiques.
De fait, la question démocratique, dont concrètement de l'association des peuples aux décisions publiques, est clairement un sujet central pour l'Union. Il ne faut pas l'éluder mais chercher à comprendre, de façon posée, comment non seulement l'Europe pourrait être plus démocratique mais aussi être perçue comme telle selon le principe du juge Ewart s'agissant de la justice ("justice should not only be done, but should manifestly and undoubtedly be seen to be done").
Afin d'atteindre l'objectif démocratique, la solution la plus évidente est celle du référendum. Direct, simple et clair. Pourtant, cette solution est en trompe l'œil. En pratique elle est souvent inapte à susciter un débat public serein car on discute alors de tout sauf de la question (le gouvernement, le contexte national, l'humeur du moment, etc.). Et l'interprétation du résultat suscite encore plus d'interrogations que la question posée. Au fond, le référendum renvoie à une question qui fut tranchée voilà deux siècles quand la tentation du mandat impératif fit jour. Après quelques atermoiements, les Révolutionnaires français ont écarté l'idée qui aurait conduit à un gouvernement impossible de la Nation, au nom d'une démocratie d'opinion aussi volatile qu'impraticable. Bonaparte aura remis le plébiscite au goût du jour mais il n'est guère de démocrates qui s'en réjouissent. De Gaulle imposera à son tour l'instrument, afin de contourner les structures partisanes, mais c'est cette même pratique détournée par ses adversaires, qui causera sa perte (voulue ou non mais là n'est pas la question). Finalement, la démocratie directe, aussi séduisante que trompeuse, renvoie, comme un éternel recommencement, à la Grèce par le risque démagogique que Platon qualifiait déjà et qui prend particulièrement sens dans nos sociétés technicisées et complexes.
Toutefois, le paravent référendaire masque la vraie et bonne question de l'organisation d'un débat politique véritablement européen. Non pas de façon atomisée et partielle, mais par une discussion mature sur les choix politiques d'ensemble qui permet à la démocratie de fonctionner légitimement et efficacement. C'est ici que le pari politique désespéré de M. Papandreou prend sens au regard des évènements présents; l'euro est notre bien commun, au moins à dix-sept, et il doit être discuté de façon commune et non localement au gré des crises. Or, quelle est l'enceinte communautaire où peut s'exprimer la volonté du peuple européen? Evidemment le Parlement européen qui doit saisir cette opportunité historique de former un débat public authentiquement européen. A lui de décider quelle en serait la forme mais il y aurait quelque panache à proposer la convocation d'élections européennes où la question de l'appartenance à l'euro et à l'Union pourrait être au cœur des discussions. Il est temps, pour le camp européiste, et n'ayons pas peur des mots, fédéraliste, d'affronter les thèmes clivants qui permettront au débat d'exister et de se structurer en conséquence. Car la démocratie n'est pas seulement affaire de suffrage mais aussi de responsabilité, lequel principe est nié, par bien des aspects, dans le contexte actuel ce qui n'est pas le moindre des moteurs de la contestation.
Nous sommes encore loin, malgré la gravité de la situation, d'une telle prise de conscience. Mais combien de crises faudra-t-il subir pour que la question, enfin, d'une solution globale soit posée? Après la Grèce, l'Italie s'annonce comme un facteur de tension et il devient insupportable de s'en tenir à la (ré)action, fût-elle dynamique, et non à la réflexion quand le monde attend de nous non plus une conception révolutionnaire de notre devenir mais une simple acceptation des conséquences politiques des choix portés avec succès par les générations successives depuis la Guerre. Ceux qui prétendent intégrer économiquement des Etats à équilibres politiques constants, par l'ajout de structures institutionnelles et/ou informelles toujours plus confuses, répètent l'erreur historique qu'ils prétendaient fustiger. Celle de croire que l'économique peut se concevoir à côté et non à partir du politique. Et chacun sait que tout pouvoir est un ou n'est pas.
JC
NB : l’Atelier Europe avait déjà publié un article sur le G20 en février dernier. Vous le trouverez ici.