Selon toute vraisemblance, la France va perdre sa note « AAA » (c’est-à-dire la note maximale accordée par les trois agences de notation S&P, Moody’s et Fitch, synonyme d’un emprunteur souverain dont la perspective de défaut est marginale). C’est en tout cas ce que suggère très fortement le récent et prétendu raté de S&P qui a, soi-disant par erreur, communiqué une perspective négative à ses clients la semaine dernière
Cela n’est pas sûr pour autant: on peut toujours espérer que les diverses mesures de rigueur adoptées par le gouvernement français se conjuguent à une amélioration du lourd climat qui pèse actuellement sur la zone euro. La France pourrait alors, peut-être, échapper à cette sanction.
Pourtant, il serait déjà trop tard. En effet, on peut critiquer l'emprise actuelle des agences sur la politique des États, dans un contexte de perte de confiance généralisée, mais celles-ci ne sont pas responsables des difficultés de financement des États qu’elles évaluent négativement et elles prennent bien plus acte a posteriori de ces dernières. Ainsi, alors même que la France est toujours notée AAA, le spread (c’est-à-dire l’écart de rendement, soit les taux d'intérêts remboursables à l'emprunteur, entre les obligations souveraines) avec l’Allemagne oscille depuis une dizaine de jours autour de 160 points de base (100 points = 1%).
Est-ce grave? Oui, et pour deux raisons, l’une économique, l’autre politique.
Economiquement, un écart de 160 points de base signifie que l’État français se finance sur les marchés à un coût qui excède de 1,6 point de pourcentage celui de l’Allemagne. Autrement dit, c’est ce que coûte à la France son défaut relatif de crédibilité par rapport à l’Allemagne (qui n’a été intégré par les marchés que récemment). Il suffit de constater que le ratio dette / PIB de la France s’approche des 100% pour en déduire que ce spread va finir par coûter annuellement 1,6 point de PIB (pas tout de suite néanmoins, puisque que la durée de vie moyenne de la dette française est de sept années environ). Le coût va donc croître progressivement jusqu’à 2020 environ. 1,6 points de PIB, c’est environ 30 milliards d’euro, soit 5 points de TVA, la moitié de l’impôt sur le revenu, deux fois le paquet fiscal de 2007, dix fois les rentrées de l’ISF…Un coût donc supportable mais très significatif.
Mais c’est politiquement que l’enjeu est le plus lourd, et dans ce que cette perte signifiera pour la France en terme de place dans l’UE. Cette perte affecterait le sort d’un couple franco-allemand déjà déséquilibré et relèguerait, au moins symboliquement, la France dans le camp de pays latins (Espagne, Grèce, Portugal, Italie), jugés dépensiers et peu rigoureux. On peut en débattre à l’infini (l’Italie n’est pas la Grèce, et la France dispose de bien des atouts qui la mettent pour longtemps à l’abri du défaut), et suggérer que le rôle de la France dans l’UE est suspendu au jugement de quelques analystes à Londres ou à Francfort semble bien léger. Mais en politique les symboles comptent. Pour reprendre une comparaison de l’ancien député européen Jean-Louis Bourlanges, la France est comme un passager qui voyage en première avec un billet de seconde: les agences pourraient bien jouer le rôle ingrat du contrôleur.
Alors oui, la France doit se battre pour conserver cette note. Cela passe certes par un budget rigoureux à court terme, mais surtout par un engagement durable et crédible en la matière, complété par le choix résolu de la croissance, qui reste l’arme la plus efficace pour rembourser les dettes publiques (comme l’a par exemple démontré Charles Wyplosz récemment).