En réaction à la fusion NYSE-Euronext / Deutsche Börse, que la Commission européenne semble sur le point d'interdire, Yves de Kerdrel considère dans une chronique récente que cette dernière est non seulement aveugle aux intérêts européens, mais surtout fait preuve de dogmatisme et de naïveté dans l'appréciation des règles non écrites régissant la concurrence mondiale.
Premièrement, il faut remarquer qu'Yves de Kerdrel démontre sa méconnaissance totale de l'Union européenne et de ses règles, notamment celles encadrant le contrôle des concentrations. Le cas de fusion NYSE-Euronext / Deutsche Börse ne fait ainsi pas l'objet de "directives" (à croire que la Commission ne prend que des directives...), mais d'une "décision". Ce cas n'est pas non plus "bureaucratiquement" décidé par un "obscur fonctionnaire" à blâmer, mais par les Commissaires eux-mêmes, des politiques proposés par les États-membres et adoubés par le Parlement européen démocratiquement élu.
De plus, sur le fond, le raisonnement d'Yves de Kerdrel pêche par sa contradiction, et ne répond pas à l'objection fondamentale de la Commission: comment peut-on accepter sérieusement qu'un opérateur contrôle 90% d'un marché si sensible sans se prémunir des abus que cette position plus que dominante contribuerait certainement à engendrer? Or si les marchés étaient réellement mondiaux, alors les opérateurs alternatifs décrits par Yves de Kerdrel devraient occuper une part de marché bien plus grande sur le marché européen que les 10% qu'ils détiennent actuellement. En tout état de cause, un peu de recul s'impose pour juger de la pertinence d'une décision complexe, et le jugement à l'emporte-pièce d'Yves de Kerdrel semble assis sur des arguments bien légers.
Ensuite, Les marchés financiers n'ont rien à voir avec la construction aéronautique, et le mariage proposé n'est en rien un "Airbus" de la finance car les entreprises fiancées ne détiennent pas des capacités techniques et financières réellement uniques. Les barrières à l'entrée ne sont certes pas insurmontables pour les concurrents extra-européens mais elles ne le sont pas non plus pour les concurrents intra-européens, et il n'y a pas de raison économique ou sociale valables empêchant l'émergence de nouveaux acteurs sur ce marché. Quant à la question de la réglementation des marchés financiers, le maintien d'une concurrence entre opérateurs permet précisément que la création de règles du jeu communes soit plus facilement appliquée, et qu'in fine le rôle des régulateurs s'en trouve renforcé. Le journaliste passe ainsi bien sous silence l'existence aux États-Unis d'agences fédérales en charge du contrôle des concentrations.
Au même titre, on peut également signaler que l'échec de la fusion NYSE-Deutsche Börse préserverait la vitalité des différentes plateformes européennes, et dans le cas spécifique de NYSE-Euronext / Deutsche Börse, permettrait de maintenir des activités à Paris ou à Amsterdam qui auraient été transférées pour tout ou partie à Francfort. Ces considérations autrement plus stratégiques brillent par leur absence dans la diatribe d'Yves de Kerdrel.
Enfin, Yves de Kerdrel reste obnubilé par l'interdiction par la Commission de la fusion entre Schneider et Legrand, il y a 11 ans, comme si la dernière interdiction prononcée contre des entreprises françaises était le symbole d'un acharnement bruxellois à briser toute velléité de croissance externe des champions français. Mais alors, quid des opérations BNP / Fortis, France Télécom / Orange, GDF / Suez, Air France KLM…validées sans difficultés par les "gnômes" de Bruxelles? Il est d'ailleurs à cet égard toujours triste de lire dans un grand quotidien d'informations des inepties ressassées sur l'inutilité, le coût ou encore l'aveuglement de l'administration publique communautaire, dont les événements actuels montrent plus que jamais la nécessité comme arbitre des rivalités nationales.