L’Atelier Europe accueillera pour un dîner-débat, le vendredi 2 mars, Baldur þórhallsson, Professeur à l’université de Reykjavik et membre suppléant du Parlement islandais (rapporteur sur l’adhésion). Il est spécialiste des petits États membres de l’Union européenne, de leur rôle et de leur influence dans l’Union.
« Un pas en avant, deux pas en arrière », ce pourrait être un bref mais lucide résumé de ce que fut pendant de nombreuses années, l’attitude de l’Islande vis-à-vis de l’Union européenne. Et il aura fallu attendre une crise, et non des moindres, celle de 2008 et singulièrement l'effondrement de son système bancaire hypertrophié, pour que le débat sur l’adhésion trouve un nouveau souffle.
L’Islande dépose finalement sa candidature d’adhésion à l'Union européenne le 16 juillet 2009. Le statut de candidat lui est accordé le 17 juin 2010 et les négociations d'adhésion débutent formellement le 27 juillet 2010. Choix raisonnable et raisonné ou ferveur populaire pour l’Union européenne? La question se pose.
Le gouvernement islandais a pour objectif d'adhérer en 2013, adhésion qui sera par ailleurs sujette à un référendum en Islande.
I. Flashback sur les relations « je veux, je veux pas » de l’Islande avec l’Union européenne
Il serait réducteur de considérer que le dépôt de candidature de l’Islande n’est que le simple résultat de la crise de 2008. Depuis de très nombreuses années, l’Islande coopère activement avec les pays de l’Union européenne et les relations se sont intensifiées au fil du temps. Intégrée à l’Espace économique européen (EEE), l’Islande participe, comme tout membre de l'Association européenne de libre échange (AELE), au marché unique européen. Elle a également signé un accord de participation à la convention de Schengen.
Cependant, l’adhésion à l’Union européenne ne va pas de soi pour les responsables politiques. Des années 1990 à la crise de 2008, deux grandes formations politiques - le Parti de l'indépendance, conservateur, et le Parti du progrès, libéral - sont opposées à l'adhésion, considérant que l’Islande n’avait aucun intérêt à adhérer et encore moins à adopter l’Euro. Seul, le parti Alliance, parti d’opposition, soutient l'ouverture des négociations d'adhésion.
La crise financière de 2008 marque un tournant et si de nombreux responsables politiques restent hostiles à une entrée dans l’Union européenne, les esprits évoluent.
La politique de rigueur mise en place change la donne. En contrepartie des restrictions sur les salaires, les syndicats demandent que l'Islande fasse acte de candidature à l'Union européenne. Plusieurs formations politiques leur emboîtent le pas, tout en posant un certain nombre d’exigences. Par exemple, le Parti du progrès soutient cette candidature mais avec de strictes conditions telles que la pleine autorité de l'Islande en matière de politique de pêche, un point d'achoppement historique dans les relations avec l'Union, et sur les autres ressources nationales, point qui reste encore aujourd’hui central dans les négociations. Parallèlement, l’idée de soumettre l'ouverture des négociations et la signature du traité d'adhésion à l'Union à un référendum progresse.
Les élections de 2009, post-crise, marquent un changement d’attitude très net. Les principales formations politiques mettent le sujet de l’adhésion au centre du débat. On parle alors d'une candidature immédiate à l'Union européenne et d'une adoption de l'Euro dans les quatre ans, outil perçu comme un moyen de gérer la dette – importante – du pays.
Ces évolutions aboutiront au dépôt de candidature le 17 juillet 2009, peut alors commencer la phase de négociations d’adhésion.
Partenaire de longue date de l’Union européenne, l’Islande applique déjà une partie conséquente de l’acquis communautaire, ce qui laisse entrevoir un processus de négociations rapide, d’autant plus que l’Islande est une démocratie établie. Selon différentes analyses, l'Islande appliquerait déjà deux tiers de la législation de l'Union européenne du fait de sa participation à l'EEE. On estime alors que l’Islande pourrait probablement entrer dans l'Union européenne en même temps que la Croatie, au 1er juillet 2013.
II. Mais quels sont les points d’achoppement dans ces négociations d’adhésion ?
Le point de friction le plus emblématique des négociations est certainement celui de la pêche. Puissance économique reposant essentiellement sur ses ressources naturelles et la pêche, l’Islande est particulièrement sensible à la législation relative aux quotas de pêche autorisés, et de nombreux incidents sont venus émailler les négociations d’adhésion. À titre d’exemple, en 2010, le Commissaire européen aux affaires maritimes et à la pêche condamne la décision unilatérale des pêcheurs islandais d'augmenter leurs quotas de pêches de maquereaux au-delà des niveaux autorisés – de 2 000 tonnes à 130 000 tonnes – en raison d'une présence abondante dans leurs eaux, alors que les pêcheurs écossais et irlandais observent ces quotas. En 2011, l’Islande relève, une nouvelle fois, son quota à 146 000 tonnes et elle s’expose à des sanctions de l’Union.
L’adoption de l’Euro a également été un point de discussion très important. À la suite de la forte dépréciation de la couronne pendant la crise, l’Islande a étudié la possibilité d'adopter l'Euro sans pour autant rejoindre l'Union européenne, s’inspirant de la pratique de différents pays, comme le Monténégro ou encore le Kosovo. L'Union européenne n’a pas donné suite car ces pays n’étaient pas dans des situations comparables: le Monténégro et le Kosovo n’ayant pas de monnaie propre et dans ces deux cas il s'agit plutôt d'un état de fait qu'une véritable intégration monétaire.
Enfin, l’affaire Icesave a généré quelques tensions entre l’Islande et deux membres de l’Union européenne. À la suite à la crise de 2008, le gouvernement nationalisa toutes les banques islandaises dont la filiale de Landsbanki, Icesave, qui opérait au Royaume-Uni et au Pays-Bas. Le système de remboursement mis en place privilégiait les déposants islandais au détriment des autres clients. En effet, accepter de rembourser le Royaume-Uni et les Pays-Bas creuserait encore la dette islandaise et rendrait donc encore plus difficile l'adoption de l'Euro - une des motivations majeures de l'adhésion de l'Islande à l'Union européenne - notamment en raison des critères de convergence. Cette affaire a empoissonné d’autant plus les relations avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas qu’un référendum en 2010 sur le remboursement des milliards perdus à ces deux pays donna la majorité au « non » et qu’un deuxième référendum, en 2011, vient confirmer que les Islandais ne souhaitent pas supporter ce coût supplémentaire. À cet égard, si le Royaume-Uni a indiqué que cette affaire ne devait pas interférer avec le processus d’adhésion, ce ne fut pas la position des Pays-Bas qui adopta une attitude beaucoup plus ferme et s’opposa à la poursuite des discussions. L’affaire a finalement été dénouée par Landsbanki qui a annoncé en septembre 2011 pouvoir rembourser les sommes nécessaires.
III. Et l’opinion publique dans tout ça ?
À l’image des formations politiques islandaises, et à la lecture des différents sondages1, l’opinion publique est clairement partagée sur le processus d’adhésion et sa position évolue au fil des événements. Ainsi, si la crise de 2008 a rendu attirante l’Union européenne, notamment grâce à sa stabilité économique et sa monnaie forte, la crise de l’Eurozone depuis maintenant 18 mois, a mis à mal cette perception positive. Ainsi, les 60% de la population en faveur de l’adhésion en 2009, ne sont plus qu’un petit 40%.
Cependant, le gouvernement islandais semble déterminé à achever les négociations d’adhésion avant fin 2013, et ce, en dépit des turbulences économiques que l’Union européenne traverse. Il envisagerait également d'organiser un référendum sur l’adhésion avant que n'aient lieu les élections législatives de 2013. Le fera-t-il s’il sent une opinion islandaise réticente? Si référendum il y a, quel en sera le résultat? Les relations Islande – Union européenne sont dignes d’une saga… islandaise. Qui pourrait s’en étonner ?
Voir également:
Le site officiel de référence pour suivre la progression des négociations
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Rendez-vous, ici-même, dans quelques jours pour le compte-rendu de la rencontre avec Baldur þórhallsson.
1: Instituts de sondage, Capacent et Fréttablaðið, effectuant des sondages très réguliers depuis 2008 sur ce thème.
Illustration: Peter Schrank (The Economist)