Le symposium européen organisé par l'Alliance française de Cork, dirigée par Hélène Duquin, et consacré à la notion de citoyenneté européenne fut logiquement le moment fort de notre bref périple.
Le sujet était décliné suivant plusieurs thèmes connexes ("Women and Europe", "Justice, rights and responsibilities of the european citizens", "National identities within european culture and identity", et "Green citizenship") lesquels servirent également de prétexte aux intervenants pour aborder incidemment la question du référendum.
Le premier panel ("Women and Europe") constitua à cet égard une entrée en matière éloquente. Les deux premières intervenantes rappelèrent les principales avancées européennes au regard de l'égalité homme / femme et les protections acquises progressivement, mais également les lacunes résiduelles. Puis l'ancienne présidente du Parlement européen, Madame Nicole Fontaine, aborda la question du vote en rappelant que si l'Union était à l'origine d'avancées majeures pour les femmes, elle savait également, en vertu du principe de subsidiarité, préserver les spécificités nationales, allusion évidente à la prétendue incompatibilité du traité de Lisbonne avec la législation irlandaise relative à l'IVG. De manière identique, Nicole Fontaine expliqua ensuite que si certaines des critiques adressées à l'Union étaient compréhensibles (apparente construction en marge des citoyens, manque d'explications au moment de l'élargissement, mise en valeur insuffisante des apports de l'Union), il serait erroné d'en faire porter la charge sur Lisbonne, traité qui permet au contraire des avancées substantielles. Ensuite, et en l'absence du Ministre des Affaires Etrangères irlandais, Micheal Martin, le "keynote speech" fut prononcé par un membre de son cabinet. Alors que les propos volontairement assez convenus et modérés qu'il tint (rappelant notamment les avancées du traité et la majorité écrasante de parlementaires nationaux des différents Etats-membres à l'avoir ratifié) laissaient présager un débat sans grand relief, la séance des questions prit un tour inattendu. Deux participants, visiblement émus, l'interpellèrent en rappelant le vote de 2008, le déni de démocratie que constituait à leurs yeux ce second référendum, et leurs doutes quand à la validité des garanties apportées à l'Irlande depuis. Tenu au principe de neutralité, le keynote speaker répondit sous l'angle essentiellement des altérations juridiques apportées au premier texte et de leur validité en droit international, en décalage manifeste avec la charge beaucoup plus émotionnelle que venaient de porter ses interlocuteurs. Cela donna alors lieu à cette scène étonnante au cours de laquelle l'ambassadeur turc, assis parmi le public, prit la parole pour souligner les différences objectives entre les deux votes et le caractère justement démocratique d'un second passage aux urnes.
Le dernier panel de la matinée aborda le thème suivant: "Justice, rights and responsibilities of the european citizens". La première intervention (Alan Dukes, président de l'Alliance française de Dublin mais également ancien détenteur de plusieurs portefeuilles ministériels) se concentra dans un premier temps sur la question des libertés fondamentales qu'apporte l'Union aux citoyens, puis pris un tour plus politique en mentionnant les devoirs qui y sont nécessairement attachés, également vis-à-vis des autres Etats-membres. Le deuxième intervenant (Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman) rappela tous d'abord les aspects très concrets de la citoyenneté européenne, a fortiori pour un "petit pays" (protection diplomatique et consulaire notamment), tout en déplorant que l'Irlande ne fasse pas partie de l'espace Schengen. Puis il s'attacha à montrer que la citoyenneté est aussi le reflet de valeurs communes (attachement à un certain équilibre social permis par la richesse de l'Union - premier PIB au monde - et la qualité de ses infrastructures publiques, sa richesse culturelle, etc.) qui devraient justifier une légitime fierté d'appartenance. Puis, dans une conclusion dédiée au référendum, Jean-Dominique Giuliani rappela que, eu égard aux apports considérables de l'Union à l'Irlande, les gouvernements ne comprendraient pas un second vote négatif qui serait préjudiciable tant à l'Europe qu'à l'Irlande. Intervint ensuite Loïc Tribot la Spière, le délégué général du Centre d'Étude et de Prospective Stratégique ("CEPS"). Il évoqua en préambule les paradoxes qui caractérisent l'Union aujourd'hui; la baisse de la participation aux élections européennes en dépit de l'influence croissante du Parlement, le rejet des mécanismes européens malgré le "désir d'Europe" de ses habitants, etc. Face à cet état de fait, Loïc Tribot la Spière considère que la citoyenneté européenne ne pourra pas résulter de dispositions juridiques mais accompagnera la construction d'un espace politique, qui sera réalisé au mieux par des avancées concrète et réalistes, à l'image des propositions du CEPS; des débats entre responsables européens sur les grandes chaînes publiques et privées, une date unique pour les élections européennes, voire un vote obligatoire accompagné d'une obligation pour les députés de siéger jusqu'à la fin de leur mandat. Enfin, notre président intervint en chauffant la salle par la mention des performances de Munster en rugby. Rappelant Monnet ("Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes"), Jérôme Cloarec commença par souligner à quel point la citoyenneté se situe au cœur du projet européen depuis son origine mais que les premières avancées juridiques en la matière durent attendre Maastricht. Néanmoins, Jérôme s'attacha aussi à montrer l'insuffisance du cadre actuel, suivant lequel la citoyenneté est subsidiaire car déléguée (article 17 du TCE: "Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. La citoyenneté de l'Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas."), pour appeler à une émancipation (vis-à-vis des États) de la citoyenneté européenne. Il déplora également que les citoyens n'exercent pas suffisamment les droits d'ores et déjà dévolus par les traités en raison d'une trop grande complexité. De manière plus optimiste, Jérôme souligna d'une part les éléments positifs des mouvements en cours (Programme de Stockholm et traité de Lisbonne: droit d'initiative citoyen, communautarisation du 3e pilier...) ainsi que les ferments de citoyenneté que constituent l'émergence possible d'une société civile comme relais des couples mythiques de la construction européenne (Giscard / Schmidt, Mitterrand / Kohl...), associée à un Parlement qui doit assumer son poids politique et en tirer les conséquences nécessaires (notamment dans les pouvoirs que lui confère Lisbonne vis-à-vis de la nomination de la Commission).
Le rôle du Parlement, construction sui generis et unique au monde, fut d'ailleurs au cœur des quelques questions qui suivirentJG
Voir également: L'Atelier Europe s'engage sur le terrain: la campagne d'Irlande!
Quelques photos.