Après la crise financière de 2008 qui a ébranlé le monde bien au-delà de la seule sphère économique, l'ensemble des autorités, qu'elles soient politiques ou économiques, a été unanime: il faut tirer les enseignements de la crise et prendre les mesures nécessaires pour éviter qu'un tel événement ne se reproduise. Pour répondre à une préférence accordée aux profits à court terme, à une supervision défaillante et à une régulation peu contraignante, le mot d’ordre a été simple: régulons !
Évidemment, cette volonté affichée est bien louable. Pour autant, une régulation internationale est-elle possible? Une mesure unique est-elle même souhaitable et adaptée à l'ensemble des pays ?
L'Europe et les États-Unis se sont mis au travail, produisant moult rapports, préconisations et autres recommandations, notamment en matière bancaire avec les discussions communément appelées « Bâle III ».
En l’état actuel des discussions, les banques seraient notamment amenées à renforcer considérablement leurs fonds propres et à renoncer aux prêts trop longs. Ce qui peut sembler, à premier abord, une excellente idée, pose en réalité un certain nombre de questions.
La première question pourrait s’énoncer ainsi: quelle est l’importance des banques dans nos économies?
Si la question semble presque superflue, il est important de noter la différence du rôle joué par les banques dans le financement des économies européenne et américaine. Ainsi, si aux États-Unis, le financement de l’économie repose en grande partie sur les marchés, ce n'est pas le cas en Europe où l'intermédiation bancaire reste prédominante, a fortiori dans les économies continentales. Les banques participent ici aux deux tiers du financement des entreprises et des ménages. Ne serions-nous pas en train de créer un cadre très contraint qui n’aurait finalement que peu d'impact sur nos homologues américains? Une régulation financière accrue ne serait pertinente que si et seulement si elle dépasse le seul périmètre des banques pour y inclure toutes les activités financières, des marchés dérivés aux matières premières, de la protection des consommateurs à la supervision financière.
La deuxième question est plus grave: ne risquons-nous pas de créer un système pénalisant pour l’économie européenne en réduisant les fonds jusqu'à présent alloués aux prêts à la clientèle des banques?
La réponse est sans appel. PME ou grandes entreprises, toutes dépendent des banques. Et si ces dernières sont contraintes à conserver davantage de fonds propres, c'est d'autant moins de crédits qui seront accordés aux entreprises et d'autant moins de financements utiles à l'économie. Cette volonté régulatrice ne serait-elle pas le frein à notre croissance économique future? Il y a donc un pilotage fin à effectuer entre les nécessaires apports de fonds propres qui ne doivent pas souffrir de réserves obligatoires excessives, et la limitation des instabilités systémiques qui peuvent avoir également pour effet de poser ponctuellement de graves contraintes de liquidité.
La troisième question concerne l'engagement dans la durée auprès des clients: sous la contrainte régulatrice, les banques ne seront que peu promptes à s'engager sur le long terme. Qu'adviendra-t-il des projets de grande ampleur qui demandent des partenariats de long terme?
Comment financerons-nous demain le développement ferroviaire, les réseaux de communication ou encore la construction d'hôpitaux? Comment financerons-nous, partout en Europe, les grandes infrastructures structurantes pour le territoire si les banques ne peuvent s'engager que sur une dizaine d'années? Allons-nous devoir renoncer à ces projets dont l'objectif est d'améliorer la qualité de vie des Européens ?
Ainsi, à vouloir augmenter les contraintes des banques, la régulation ne va-t-elle pas tout simplement à l'encontre de la croissance de notre continent alors que les États-Unis poursuivront leur course, et ce, sans pour autant que le risque d’un nouveau séisme financier ne soit vraiment endigué ?
En contraignant les banques, n'allons-nous pas vers ce que nous souhaitions initialement éviter: une financiarisation encore accrue de l'économie, à l'abri d'une régulation trop forte ?
Sans un sursaut, l'Europe sera victime de la régulation bancaire. Alors que l'ouverture sur le monde n'a jamais été aussi importante, c'est le repli, économique a minima, qui nous guette !
BP